Lorsque j’arrive à mon bureau ce matin, Ashton m’y attend déjà. Il secoue la tête en me voyant passer la porte puis sors mon téléphone portable de sa poche. C’est lui qui a dû m’appeler mon chauffeur hier soir, étant trop ivre pour le faire moi même, du coup, je suis monté – ou plutôt, je me suis échoué – dans la Bentley sans mon téléphone portable. Il me regard avec un air hébété. « C’est quoi ton secret mec ? » Je fais mine de ne pas comprendre. « Ca fait trois soirs que tu te mines la gueule et t’arrive encore à arriver propre et frais le quatrième matin.» Je ricane. « L’endurance mon cher Ashton. » Il rigole et je m’asseye dans mon fauteuil. « La fille du Maire, Shereen, elle te retrouvera devant le Casino Plaza ce soir. J’ai dû insister, elle voulait venir chez toi. » Je lève les yeux au ciel. Avec Ashton, nous savons très bien pourquoi elle voulait venir chez moi. Shereen en pince pour moi et nous savons tous les deux qu’elle serait prête à tout pour finir la soirée de manière plus intime avec moi. Lorsque je m’installe dans mon fauteuil, la porte de mon bureau s’ouvre. Une fraction de seconde, j’ai peur que ça soit Aspen qui m’apporte mon café mais un large sourire étire mes lèvres lorsque je vois la femme d’Ashton tenir une grande tasse de café. Mon meilleur ami lui a sûrement dit que j’aurai besoin d’une bonne dose de caféine ce matin. Je me lève – ignorant mon mal de crâne qui me rappelle sa présence – pour aller serrer Mikaela dans mes bras. J’aime vraiment beaucoup cette femme. Evidemment, nous passons la matinée à parler tous les trois. Mais très souvent, mes deux amis essaient de glisser le nom d’Aspen dans la conversation. Ce qui est à chaque fois un échec vu que je les ignore aimablement.

Je quitte le travail à dix sept heures en même temps que les autres employés. Heureusement, je ne croise pas Aspen et je me demande même si elle travaille toujours ici pour être honnête. Après ce qu’il s’est passé, elle préférera peut-être changer de job. Enfin, j’essaie de chasser la jeune femme de mon esprit parce que je n’ai pas le temps d’aller boire un verre, il faut que je me prépare pour le bal. Je rentre chez moi et prends le temps qu’il faut pour me préparer. Eva m’aide à ajuster mon costume sans rien me demander à propos de cette soirée. Une fois que je suis prêt, André me conduit directement au Casino Plaza, en silence lui aussi. Il se peut que je lui aie un peu gueulé dessus hier soir quand il m’a ramené et que j’étais ivre. Quand je suis en colère, ce sont les gens autour de moi qui en font les frais. La Bentley s’arrête devant le grand casino et j’en sors pour attendre Shereen, la fille du Maire. Je réajuste ma cravate ainsi que mes manches quand une limousine s’arrête devant moi. Je descends les quelques marches qui me séparent de la voiture et la portière s’ouvre sur la jeune femme qui semble déjà toute excitée d’être là. Elle me saute au cou, avant de s’écarter brusquement, se rendant compte qu’un baise main serait plus adapté. Elle me sourit malicieusement et accepte mon bras. Elle s’y accroche quasiment, comme si elle était sur le point de sombrer avec le Titanic. Nous annonçons nos noms à l’entrée et suivons le chemin qui mène à la salle des fêtes. La décoration est sublime ; on sent le luxe, l’élégance et l’écologie. Ce bal a été organisé pour remercier les investisseurs pour les panneaux solaires qui ont été installés sur les lampadaires et sur les toits des commerces de la ville. Tout a été pensé pour que la soirée soit basée sur l’écologie, ce qui me ravit. On nous offre une flûte de champagne et nous commençons à marcher dans la salle. Les invités se suivent et se ressemblent. Ils nous saluent, nous complimentent, demandent indiscrètement si nous sommes ensembles. Shereen accepte tous les verres de champagne qu’on lui propose alors que moi, j’essaie encore de faire partir mon mal de tête de ce matin donc je m’abstiens. Très rapidement, les pieds de mon accompagnante se mélangent et elle se tient à moi pour ne pas se casser la figure. J’aurai dû choisir la lesbienne. Très clairement. Nous croisons le Maire qui vient nous saluer et qui regarde sa fille de haut en bas comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Shereen est sensée me rendre présentable mais elle se ridiculise plus qu’autre chose avec son regard vitreux. Cela ne fait qu’une heure que nous sommes là et j’ai déjà envie de quitter les lieux. Heureusement, le Maire me sauve la vie. Perché sur la petite estrade à côté de l’orchestre, il me demande au travers du micro de venir le rejoindre pour prononcer un petit discours. Je cale Shereen contre une table pour qu’elle puisse s’y tenir puis je colle mon plus beau sourire sur mon visage pour rejoindre le Maire sur l’estrade. Je me hisse dessus et accepte le micro avec un hochement de tête. C’est Ashton qui écrit mes discours, j’espère que celui-ci en vaut la peine parce que si c’est le cas, ça veut dire qu’après ça je vais pouvoir filer en douce sans que personne ne me remarque.  « Bonsoir. J’aimerais d’abord remercier les gens qui ont participé à l’organisation et l’installation de ces panneaux solaires dans une bonne partie de la ville. Je me suis proposé pour le faire mais les gens qui me connaissent bien, m’ont demandé de rester un simple investisseur. Matériel trop fragile disaient-ils mais je soupçonne mon côté manuel absolument absent d’y être pour quelque chose. » Je rigole. « Sans eux, les rues de Memphis ne seraient pas éclairées uniquement grâce au soleil, sans eux nous ne ferions pas des économies sur nos impôts d’électricité et de mazout. » Je lève les yeux de mon papier pour regarder l’assemblée. « J’aimerais également remercier toutes les personnes qui ont organisé cette soirée ainsi que la fille du Maire qui me soutient et surtout me supporte ce soir. » Je la cherche du regard. Shereen me fait un « coucou » vague de la main, toujours accrochée à sa table. Je souris pour faire bonne figure mais j’ai honte. Mon regard passe d’invités en invité jusqu’à ce que je m’arrête sur une jeune femme que je reconnaîtrais entre mille. Dans sa belle robe Elie Saab, Aspen me regarde. Le Maire se racle la gorge à mes côtés et je retombe brusquement sur terre. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Comment ose-t-elle se montrer ici, avec cette robe sur le dos après ce qu’il s’est passé. Je me sens bouillir de l’intérieur mais il faut que je termine mon discours. Les derniers mots qu’Ashton a choisis sortent machinalement de ma bouche mais dans ma tête, je me demande surtout comment je vais esquiver Aspen sans éveiller des soupçons parce que je n’ai pas du tout envie de la voir. Je termine mon discours sous les applaudissements du Maire et des invités, puis je descends de l’estrade. Très rapidement, je rejoins Shereen et prends sa main en l’appuyant contre moi pour qu’elle se tienne droit. « Allez, viens ma grande. » Forcés de passer à côté d’Aspen, je décide de tenter le tout pour le tout, ma main posée sur la hanche de Shereen. « Jolie robe. M’en veux pas, j’ai quelque chose de prévu pour le reste de la soirée. Sers toi de champagne et de petits fours ! » Puis j’entraine la fille du Maire avec moi dans le hall du Casino Plaza. Je l’entends marmonner à côté de moi mais je l’ignore. Si bien que tout d’un coup, la jeune femme se jette dans un pot de fleur pour y vomir le peu de champagne et de petits fours qu’elle a avalé. Il manquait plus que ça… Je tapote du pied en attendant qu’elle veuille bien se relever avant que des photographes immortalisent cette… scène.

Je suis écœuré. Et je ne parle pas de la fille du Maire qui est en train de vomir dans un pot de fleurs. Je parle bien d’Aspen. Qu’elle aie osé se montrer à ce bal dans la robe que je lui ai offerte après qu’elle m’aie fait si bien comprendre qu’elle ne m’accompagnerait ce soir uniquement en tant qu’amie. Tout ce que j’ai refoulé durant ces quatre derniers jours en buvant verre de whisky sur verre de whisky me remonte salement dans la gorge. J’ai rompu avec Aspen. Putain. Je l’ai sommé de partir de chez moi après avoir rompu avec elle. Je me rends bien rapidement compte que je suis peut-être fort pour mettre certains événements dans un coin de ma tête mais je suis loin d’être costaud quand il faut les sortir pour y faire face. Cette robe, qui lui va si bien, elle l’a pris comme un chantage et elle m’a posé sa seule et unique condition sur la table, m’accompagner en tant qu’amie. Je n’y crois toujours pas. J’aime cette femme, je l’aime de tout mon cœur, je n’ai jamais cessé de l’aimer et elle, elle m’humilie en me proposant une soirée en tant… Qu’amis. Pour se pointer à la dite soirée avec un faux sourire sur les lèvres pour me narguer et me déstabiliser. Je n’y crois tout simplement pas. Et voilà que cette sangsue de Shereen se sent obligée de vider le pauvre contenu de son estomac dans le hall du Casino Plaza alors qu’il y a une bonne dizaine de photographes à l’intérieur de la salle des fêtes. J’ai l’impression de vivre un cauchemar. Je veux juste sortir d’ici, caler Shereen dans sa limousine et rentrer chez moi pour finir ma bouteille de whisky. C’était sans compter un deuxième vomissement succédant le premier. Je grimace de dégoût et parce que les minutes s’écoulent et que je suis toujours là, dans ce fichu hall d’entrée. J’avais peur des photographes, mais finalement je me rends compte que j’aurai dû avoir davantage peur de l’arrivée d’Aspen et qu’elle soit témoin de cette scène. Je soupire et tourne le dos aux deux femmes. J’ai la gorge serrée et j’ai l’impression qu’on m’écrase les poumons. J’entends Aspen s’avancer vers la malade puis se redresser pour me parler. Je secoue la tête. « Je n’ai pas envie de parler Aspen. » Le maître d’hôtel vient à notre rencontre et parle avec la jeune femme. Cette dernière décide d’enfoncer le couteau en me faisant comprendre qu’elle ne compte pas quitter son poste au sein de mon entreprise. Je pourrai dire au maître d’hôtel que je ne connais pas Aspen et il la ferait sortir immédiatement, mais j’ai un minimum de respect et de politesse alors je souris en coin. « Et ma secrétaire d’exception m’a transmis ce qu’elle avait à me transmettre donc elle peut retrouver le chemin de la sortie. Quant à la fille du Maire, pouvez-vous avertir son chauffeur qu’elle aimerait rentrer chez elle s’il vous plaît ? » Le maître d’hôtel hoche la tête et sans accorder un regard aux deux jeunes femmes, je traverse le hall d’entrée et sors sur le trottoir devant le casino. J’envoie un rapide message à André pour qu’il vienne se garer devant l’immeuble mais il tarde à venir. J’ai fait ce que j’avais à faire ; j’ai fait acte de présence, j’ai fait un discours, j’ai été bien plus remercié que ce que je le mérite vraiment. Je n’ai plus rien à faire ici, je peux rentrer chez moi. André arrive en moins de deux minutes. Je défait mon nœud papillon et m’avance vers la Bentley quand je vois Aspen arriver sur le trottoir. « Je crois que je viens de voir ton bus passer tout droit. Désolé. » Je ne lui ai jamais parlé comme ça. Je n’aurai jamais osé et puis, ça ne me serait tout simplement pas venu à l’esprit. J’aime Aspen et j’ai grandi en apprenant le respect pour les femmes. Mais la jeune femme a brisé mon cœur, pour la deuxième fois, cette fois, je ne réponds plus de rien.