C’est humain, tout le monde aurait fait ce qu’il a fait. C’est comme ça que Pete se console en tout cas, qu’il excuse sa curiosité. Faut bien qu’il l’avoue, il a fouillé. Un peu. Il a essayé de ne pas trop s’attarder sur la vie privée d’une inconnue sauf qu’entre deux dossiers au boulot, ça l’a quand même vachement bien occupé. Une photo à la pause café, une autre à la pause déjeuner. La semaine est passée vite finalement. Bien plus vite qu’en temps normal et, apparemment, Pete le doit à une petite blonde qui répond au nom d’Ebba. Une danseuse, d’après ce qu’elle lui a dit. Décidemment, Pete en a appris beaucoup sur la jeune femme sans même lui avoir vraiment adressé la parole. Le hasard, le destin. Un truc comme ça. Au bout du compte, cet échange malencontreux de téléphones ne l’a pas tant dérangé que ça. C’était reposant de ne pas avoir des coups de fils incessants concernant son boulot. Il a continué de travailler, c’est sûr. Mais il était plus reposé et ça lui a fait du bien. Pas de sonnerie téléphonique pour le couper en pleine lecture. Mais ça va revenir bientôt puisqu’il s’apprête à retrouver Ebba. Et son portable par la même occasion. Elle est mignonne, Ebba. Jeune mais mignonne. Bien plus que son portable. C’est d’ailleurs –un peu- pour elle que Pete a passé une jolie chemise. Il a besoin de plaire. A Ebba. A tout le monde en fait. C’est viscéral. Pour beaucoup, ce besoin d’être impeccable aux yeux tout le monde est ridicule. Pour Peter, c’est primordial. C’est comme ça qu’on l’a élevé, c’est comme ça qu’il a grandit. Il prend soin de lui et l’a toujours fait. A ça se rajoute un goût immodéré pour le luxe. Pete ne compte plus les heures qu’il passe à travailler comme un forcené. Toutes les jolies choses ont un prix et l’avocat en veut toujours plus. Il aime se faire plaisir. Et il aime faire plaisir aux autres. Enfin, non, il aime surtout faire plaisir à sa sœur. C’est bien la seule personne sur cette Terre qu’il couvre de cadeaux à part lui. Heureusement que son métier rapporte bien. Quand il s’agit de se déchirer et de se faire la guerre, vous n’avez pas idée à quel point les gens peuvent se montrer généreux. Les clients de Pete veulent gagner et, justement, avoir Pete est un très bon début pour ça. C’est au volant d’une grosse berline noire que Pete arrive devant le studio de danse. Ebba ne tarde pas à en sortir, il baisse la vitre de sa voiture pour lui faire un signe. Il veut qu’elle entre histoire qu’ils aillent se garer un peu plus loin et qu’il lui paye un café quelque part. Tant de courtoisie, ce n’est pas vraiment habituel de sa part. C’est même carrément étrange. En temps normal, il aurait juste récupéré son téléphone et serait parti sans demander son reste. Ou peut-être qu’il aurait dit merci. Allez savoir. « Salut. Grimpe ! » qu’il dit alors que la jeune danseuse arrive au niveau de sa voiture.

De la nervosité. Après un cours en compagnie de ses petites souris adorées à essayer de comprendre quelle est l’émotion bizarre qui lui noue l’estomac depuis le matin, elle a enfin trouvé. Elle est nerveuse à l’idée de le revoir. Pete. En tout cas, c’est ce qu’elle pense. Quand elle a répondu au téléphone, la première fois, elle n’a pas tout de suite compris. Elle n’a pas saisi pourquoi sa sonnerie était soudainement différente, ni pourquoi la texture de l’étui sous ses doigts l’était, elle aussi. Lorsque cette voix masculine a entamé la conversation en lançant des « Pete » à tout va, elle n’a pas réalisé que c’était elle, l’erreur, et pas le numéro composé par son interlocuteur. Et puis, après avoir raccroché, Ebba a bien dû se rendre à l’évidence. Aucun des contacts affichés n’était familier, et la sonnerie retentissait beaucoup trop souvent pour que ce téléphone lui appartienne. Presque honteuse de tenir cet appareil qui ne lui appartenait pas entre les mains, elle s’était empressée de le mettre sur silencieux. Un peu plus tard, se demandant comment le rendre à son propriétaire, elle avait fouillé –mais juste le nécessaire- dans ses contacts. Qui devait-elle contacter pour transmettre le message à ce fameux Pete ? Et, tandis qu’elle cherchait, la solution s’était présentée : un sms provenant de son propre portable demandait si elle était bien en possession de celui qu’elle avait pris à la place du sien.

Et maintenant, étrangement –ou pas d’ailleurs, elle redoute le moment où elle le croisera de nouveau. Sera-t-il en colère ? Ses sms avaient l’air de ne considérer cet échange malencontreux que comme un malheureux hasard. Et puis, il y a le fait qu’il soit particulièrement séduisant. Pas de son âge, elle s’en doute, mais néanmoins très attirant. Elle l’avait remarqué lors de leur collision, bien que sur le moment elle avait été trop embarrassée pour aligner plus de deux mots. Elle a pris la peine de mettre ses vêtements d’entraînement les moins moches, c’est-à-dire ceux qui n’ont ni trous, ni taches. Par trois fois, elle a revérifié dans son sac si le téléphone s’y trouvait toujours. Sa dernière élève quitte le studio et Ebba sort sur le trottoir pour attendre Pete. Il ne tarde pas à arriver, dans une voiture qui semble neuve. Elle s’approche, pensant qu’ils vont simplement échanger leurs portables et qu’il repartira aussitôt. « Grimpe ! » Réajustant la bretelle de son sac de sport sur son épaule, elle reste pourtant où elle est. «  Tu sais ce qu’on dit à-propos des inconnus avec une grosse voiture noire… » Qu’il faut pas accepter de monter, ouais. Pete reste tout de même un parfait étranger, même si elle a passé quelques jours avec son téléphone – un truc vachement personnel, qui renferme plein d’informations sur son propriétaire. Mais, puisqu’elle n’a fait que l’emprunter pour jouer à Candy Crush, elle ne peut pas prétendre le connaître. « T’es pas vachement occupé ? Parce que ton téléphone sonne nuit et jour, ta boîte vocale doit être pleine… »

Pete ne se mélange pas facilement. Les gens, les autres, il évite. Ça ne le rend pas asocial, au contraire. Il sait parler, il sait convaincre son public. Mais ça ne le rend pas sympathique non plus. Rares sont les individus qui se sentent à l’aise avec Pete au premier abord. Ni même tout court. C’est qu’il semble être quelqu’un d’extrêmement exigeant ce Pete, il a l’air dur. Ça doit se sentir dans ses yeux, dans ses mots. Ça peut être intimidant. Et pour certaines personnes, c’est même carrément exaspérant. Il peut être agaçant avec son physique de bellâtre et ses airs supérieurs. Le genre de mecs qu’on a envie d’étrangler rien qu’avec un regard. Et ça ne le dérange pas. Evidemment que non. Avec une opinion de lui-même aussi haute, ce n’est vraiment pas étonnant que Pete se fiche de ce qu’on pense de lui. Il sait très bien qui il est et s’il essaye encore et toujours de se tirer vers le haut, il est satisfait de sa vie malgré tout. Nombreuses sont les personnes qui lui ont reproché d’être arrogant… Mais, pour lui, l’arrogance est une qualité. Une nécessité même, pour s’armer contre le monde. Le monde, les autres… C’est bien la même chose. Oui, parce qu’en plus de ça, Peter est cynique. Et c’est avec un sourire cynique qu’il accueille la remarque d’Ebba. Nan mais elle se fout de lui ? Il n’arrive pas à retenir un soupir bruyant. Est-ce qu’il a l’air d’un foutu psychopathe, vraiment ?! Elle ne monte pas et ça l’énerve. Un peu. Il ne le montre pas. Enfin, pas trop. Ça se voit qu’il est tendu, Pete est une vraie bombe à retardement. Mais on ne lit pas l’agacement sur son visage. Elle n’a pas tort, dans le fond, la petite. Personne ne devrait embarquer avec le premier venu. C’est du bon sens. Quel parent digne ce nom n’a pas un jour prodigué ce précieux conseil à sa progéniture ? Pete lui-même interdit à sa sœur de monter avec n’importe qui en voiture. De là à ce qu’elle écoute, faut pas rêver. Pete a beau voir en sa sœur la perfection même, il n’est pas aveuglé au point de ne pas voir qu’elle en fait qu’à sa tête. « Mon boulot. Ça s’arrête jamais. » Pete n’est pas harcelé par des amis ou une ex petite amie qui s’accroche… Mais bien par ses clients. Dans un divorce, y’a de quoi s’occuper. Le chien, les gosses, leurs histoires de fesses, la maison, l’argent… Les gens trouvent toujours quelque chose pour se déchirer. Et Pete en profite. Mais pas sa vie sociale qui est presque réduite à zéro tant il passe ses journées à courir de dossier à dossier, d’un appel à l’autre. « Je reviens. » Sans plus de cérémonie, il démarre et trouve un endroit où se garer plus loin. C’est à pieds qu’il retrouve Ebba cette fois. Il lui tend son téléphone, pas spécialement pressé de retrouver le sien. Il faut bien. Une fois l’échange fait, un léger sourire se dessine sur ses lèvres. « Un café, ça te dit ? » Une manière pour Pete de montrer sa reconnaissance ? Il y a de ça. D’un autre côté, il ne l’aurait probablement jamais proposé si Ebba avait été laide.