Depuis ce fameux bal de Saint Valentin, Trent n'était plus que l'ombre de lui-même. Il sombrait chaque jour un peu plus. Grâce à un congé maladie forcé, il avait évité de justesse de se faire virer. Pour autant, ça n'arrangeait pas sa situation, car n'allant plus bosser, il n'avait vraiment plus aucune accroche avec la réalité. De plus, il mélangeait maintenant alcool et médicaments. Une vraie loque. Il avait l'insulte facile dès que quelqu'un osait tenter de croiser son chemin. Connu dans les bars du coin, comme du rayon bouteilles du supermarché, il n'avait plus l'envie de raconter le moindre mensonge. Catriona ne voulait plus de lui, sa vie n'avait plus aucun sens. Les factures s'accumulaient, il se laissait totalement aller. Rien ne va plus. La partie est perdue. Game over. Il n'avait aucune envie, aucun désir, rien ne le motivait. Et si en plus, il commençait à imaginer Catriona avec son nain vert alors là, il virait carrément au rouge et pourrait casser tout ce qui se trouvait sur son chemin. D'ailleurs, la maison avait déjà connu quelque colères et certains bibelots avaient trépassés de cette manière. Non, Trent n'était pas au mieux de sa forme. Il était seul au fond du trou.

Il n'y avait bien qu'une occupation qui le sauvait encore un peu de la déprime : la vitesse. Après avoir avalé quelques anti-dépresseurs et descendu quelques verres, Trent montait dans sa voiture, s'éloignait un peu de la ville et zigzaguant poussait le moteur jusqu'à exploser le compteur. Appuyant sur l'accélérateur, il se laissait griser par cette sensation lumineuse, poussé par l'adrénaline. Le paysage défilait tellement vite qu'il en devenait flou. Aveuglé, Trent ajustait simplement la trajectoire sans chercher à savoir où il allait. Il roulait pour rouler, prenant tout les risques, laissant la route défiler. S'il avait miraculeusement de finir dans un fossé, jusque là, la chance finit toujours par tourner et il semblait que ce changement était prévu pour aujourd'hui...

Dans un état second, il était parti avec le même objectif, la même folie et roulant toujours aussi vite. Sauf qu'après un virage qu'il avait mal anticipé au vue de ses réflexes diminués, il n'eut que le temps de se voir croiser la voiture d'en face. Le choc fut violent, brutal, la voiture poursuivit une trajectoire qu'il ne maîtrisait plus. Il mit un peu de temps avant de pouvoir réaliser ce qui venait de se passer. Il était à l'arrêt, un peu secoué, un peu endolori, peut être quelques coupures ici ou là mais à priori rien de bien grave. C'est plutôt ce qu'il avait dans le sang qui n'aidait pas. Un léger mal de mer et un début de conscience lui permirent au bout d'un moment d'ouvrir la portière et de sortir de la voiture... C'est seulement là qu'il capta l'autre voiture... bien plus amochée... elle avait sûrement fait quelques tonneaux pour être comme ça à l'envers... S'appuyant contre sa voiture, il la fixa simplement dans un premier temps... Réalisant doucement, son cerveau ayant encore quelques lenteurs... Merde. Putain de merde.

Le choc est brutal, violent, intense. Sif, elle n’a même pas le temps de réaliser ce qui se passe, elle n’a même pas le temps de voir la voiture qui heurte la sienne de plein fouet. On l’a sort de ses pensées, on la projette très loin de sa propre tête. La scène se déroule si rapidement que Sif, elle se sent paumée, elle ne ressent que la peur, que la douleur qui fait rapidement rage sur son sur crâne. Le paysage tourne avec violence autour d’elle, avant que la voiture ne s’arrête soudainement. Elle s’arrête, mais la peur, la douleur, elles restent, elles ne s’envolent pas comme ça, Sif, elle les ressent, elles s’intensifient. Son esprit est embrumé, elle ne comprend toujours pas, elle continue d’être paumée, mais sa main, elle se porte aussitôt à son front, dans un geste inconscient. Elle grimace et contemple sa main, alors que sa vision est brouillée, sombre. Du sang, elle ne le réalise qu’à moitié, son cerveau tente plutôt de sombrer, il tangue, son esprit continue de s’embrumer. Elle ferme doucement les yeux. C’est son visage à lui qui lui revient en tête, il revient la hanter, alors qu’elle est dans cet état second. Sif, elle se heurte à la fiction, alors que la réalité tente de reprendre le dessus. La bataille fait rage dans sa tête, elle ne veut pas s’approcher de ce visage, elle tente de remonter à la surface, elle nage puis finalement, elle reprend son souffle.

Sif, elle bat lentement des paupières puis elle arrive finalement à garder ses yeux ouverts. La douleur à son crâne est intense, sa tête ne peut pas s’arrêter de tourner,  mais lentement, elle reprend conscience du monde qui l’entoure. Sa tête continue de tanguer, mais elle comprend enfin. La scène s’éclaircit, elle se retrouve la tête à l’envers et sa ceinture est la seule chose qui l’empêche de choir contre la vitre fracassée. La blonde, elle respire avec difficulté, à cause du choc, de la nervosité ou d’une blessure dont elle n’a pas encore conscience. Le choc a été d’une telle violence, alors qu’elle roulait tranquillement, perdue dans ses pensées. Sif, elle a été secouée, son crâne la fait souffrir et maintenant, elle ne sait pas comment se tirer de là. Sa tête tourne trop, son esprit fait des vagues, elle n’est pas entièrement là. Elle a peur de se blesser d’avantage, avec tous ces éclats de verre, autour d’elle. Son cerveau roule au ralentit, elle n’arrive pas à penser correctement. Idiote, elle se dit que si lui il était là, il saurait comment la sortir de là. Elle en revient toujours à penser à lui et ça l’énerve, elle l’insupporte, mais elle n’y peut rien. Dans les situations les plus difficiles, il était là, alors que depuis quelques temps, elle se retrouve complètement seule. Sif, elle ne sait pas combien de secondes ou de minutes se sont écoulées depuis l’accident, mais elle a l’impression que c’est interminable. Elle a l’impression que le temps se fige, que la douleur à son crâne ne fait que s’intensifier, mais elle est complètement paumée.

Honnêtement, il songea, il faut le dire, à prendre simplement la fuite mais il était de la partie et un constat rapide de l'état de son propre véhicule lui confirma très vite que cette solution n'était pas envisageable. Non, il était bien sorti de la route et dans un coin paumé, la voiture avait pris un sacré choc, aucun moyen de s'en sortir sans dépanneuse, retourner en ville à pieds lui prendrait un certain temps. Une main sur les côtés, douloureuses, il se pencha en avant fermant les yeux, comme si ça suffisait à oublier ce qui venait de se passer, à stopper la prise de conscience. Il fut tenter de secouer les bouts de verre et de s'affaler sur la banquette arrière, attendant en faisant le mort qu'une voiture ou autre passe dans le coin et alerte la police et les secours... Mais la passivité n'était pas au goût du jour, il trouva la force, de donner rageusement un coup de pied dans un des pneu, en grommelant un flot d'insultes. La poisse. Ce geste le fit pour autant grimacer. Faisant quelques pas autour de la voiture, indécis, il se tourna plusieurs fois vers celle de l'autre conducteur... Indécis oui, car il n'avait vraiment l'air de vouloir s'y précipiter, craignant sans aucun doute le résultat. Oui, il était en train de s'énerver parce que sa conscience s'agitait et que tout bonnement il flippait. La peur d'avoir peut être tuer quelqu'un, il connaissait très bien. Trop bien. Il n'avait franchement pas envie de revivre ça. Trop tard. Le mal était fait.

Il se passa donc quand même un bout de temps finalement avant qu'enfin, saisi malgré tout par l'angoisse, le besoin de savoir et probablement quelques remords, il s'aventure en direction de l'autre voiture... En connaisseur, il estima assez rapidement les dégâts, c'est simple, la voiture était foutue, mais la vraie question n'était pas matérielle. D'une voix un peu brusque et non sans trace de nervosité, il clama avant d'oser regarder de ses propres yeux.

- Oh ! Il y a quelqu'un ?

Allez savoir pourquoi, il regarda d'abord à l'arrière, à croire qu'il pouvait être plus sensible à une éventuelle catastrophe enfantine... RAS. La victime de ses conneries était apparemment une jeune femme blonde, qui se trouvait actuellement la tête à l'envers, coincé entre sa ceinture et l'airbag... Trent sentit son coeur battre un peu fort dans sa poitrine alors qu'il avait l'impression que ses jambes se dérobaient. Il s'agenouilla alors dans l'herbe avec une forte envie de gerber et se pencha pour la regarder, cherchant malgré lui un signe de vie... Sans le vouloir, il fut de nouveau plutôt agressif dans ses propos, disons que c'était une question de vie ou de mort. Et que la peur était plus forte que l'empathie ! La psychologie n'était pas son fort, d'autant plus dans l'état dans lequel il était.

- Hey !! Tu m'entends ? Réponds !!

Il avait du mal à voir... d'autant que ses pensées se bousculaient. Derrière ce visage blond sanguinolent, les identités se mélangeaient. Au lieu et place d'une inconnue, il voyait tout simplement un visage familier... avec cette violente sensation d'avoir déjà vécu la scène, de la revivre même en cauchemar, ce qui ne manquait pas de se produire, presque une habitude. La dernière fois aussi, il l'avait cru morte... La sortir de là ne serait pas une mince affaire, impossible d'ouvrir simplement les portières, comme ça. Même au moins, il y avait de la casse, assez pour qu'elle soit capable de sentir le vent passer. Cela dit, la question n'était pas là. Tout ce qu'il voulait savoir là tout de suite, c'est si elle était bien vivante... On réfléchira après. Ce qu'il était censé faire, il était bien loin d'y penser.

Un bourdonnement. Une voix qui ne lui semble pas claire, pas nette. Sif, elle croit l’entendre, mais elle se perd dans les méandres de son esprit. Il y a cette peur qui s’accroche à elle, comme un enfant trop effrayé qui se cache derrière la jambe de son père et s’y accroche avec fermeté. Elle respire rapidement, trop rapidement, c’est la panique qui veut prendre possession de son corps, de son esprit. « hey ! tu m’entends ? réponds !! » Cette fois, le bourdonnement est plus clair, il est brutal, violent, mais pas autant que le choc, que l’accident. Il est audible et Sif, elle retourne quelques fois les mots dans sa tête, avant de les comprendre, avant de les assimiler. La scène se passe au ralentit dans sa tête, mais la douleur continue de faire rage. Elle prend une grande inspiration, avant de tourner doucement son visage vers la source de cette voix. Ses yeux entrent alors en contact avec ceux d’un homme, elle réalise enfin qu’elle n’est pas seule, que quelqu’un est là. Même dans son état, elle ne manque pas de remarquer le visage amoché de l’homme et elle réalise aussitôt qu’il a été impliqué dans l’accident. Heureusement pour lui, il semble s’en tirer mieux qu’elle, mais Sif, elle n’y songe que pendant un court instant, avant que la panique ne revienne à la charge.

« je suis coincée… » Sif, c’est la seule chose qu’elle trouve à dire, la seule chose qui lui vient à l’esprit. Elle est coincée, elle ne sait pas comment se tirer de là, mais si la panique revient, la présence de l’homme arrive à la rassurer un peu. Au moins, elle n’est pas seule. Sa tête bourdonne, sa respiration est anormale, mais elle est en vie, c’est sans doute ce qui compte le plus. Cependant, elle n’arrive pas à voir les dommages qu’elle a subit, elle sent la douleur qui s’accroche à elle à plusieurs endroits, mais elle ne sait pas si c’est sérieux ou non. Elle a reçu un coup à a tête, c’est la raison pour laquelle son esprit s’embrouille et si elle a de la chance, le reste des blessures est superficiel, elle l’espère. Sif, elle est toujours consciente et peu à peu, son esprit tente de s’éclaircir, mais ses pensées restent embrouillées, comme si un voile léger les couvrait. La jolie blonde, elle n’est pas encore complètement là, mais assez pour prendre conscience de la présence de l’homme, assez pour sentir la douleur, assez pour que la peur continue de s’accrocher à elle, assez pour comprendre qu’elle est coincée. « tu peux me sortir de là ? » Ce n’est pas vraiment une question, c’est une demande, une requête. Sif, elle veut se dégager de la voiture, elle déteste se sentir prisonnière, elle déteste cette sensation d’écrasement. Elle n’y arrivera pas seule, elle a besoin de son aide. Il y a ces quelques larmes qui s’écoulent doucement sur ses joues et qui se mêlent au sang qui se répand sur son visage. Sif, elle ne pleure que très rarement, elle a ce blocage, mais en ce moment, elle se sent désorientée, trop fragile, trop frêle. Elle craque, mais se contient.

Anticipant une absence de réponse, Trent est déjà prêt à bondir en insultes, en énervement, en panique, qu'importe, sans doute en frappant la voiture ce qui ne servirait pas à grand chose. Ce qui le retient ? Un souffle, un léger mouvement puis brusquement, avec un aspect de train fantôme qui lui fait même faire un geste de recul, il croise un regard... Son regard. Elle est vivante. Le bouchon saute de la bouée, le souffle s'échappe. Il respire, soulagé. Il s'assoit dans l'herbe sans penser aux bouts de verre potentiel, c'est juste que ses jambes ne le tenaient plus avec toute cette pression. Bon, c'est l'essentiel, limite, il s'arrêterait à ce constat. Avec ce qu'il a dans le sang, c'est clair que ça lui suffit. Il pourrait même juste s'allonger là dans l'herbe plutôt que sur la banquette de la voiture, se perdre dans la vue du ciel. Il a envie de dormir. Peut être que ça le calmerait un peu oui. Dormir, oublier tout ça, comme après un mauvais rêve. Ce serait parfait. Oui, en effet, le fait qu'elle soit coincée n'était apparemment pas son soucis majeur. Seul le fait qu'elle soit vivante comptait de toute évidence.

Mais alors qu'il s'apprêtait presque à passer à l'acte et à s'allonger dans l'herbe, elle accroche à nouveau son attention en l'interpellant. Une demande. La sortir de là ? Est-ce qu'il pouvait ? L'information met un peu de temps avant de monter au cerveau. Le plus sage ce serait bien évidemment d'appeler les secours, seulement, il n'y pense même pas. Son téléphone ? Il ne l'a pas cherché, il n'a pas cherché à savoir s'il avait supporté l'accident ou pas. Trent, il est à l'ouest. L'accident l'a secoué et puis surtout il est pas dans son état normal. Il a juste envie de dormir... Il la regarde. Sa phrase lui revient en mémoire. La sortir de là. Faut reconnaître que la posture n'a pas l'air très confortable. Et c'est à cause de lui qu'elle en est là. Il renifle un peu, soupire une nouvelle fois, peut être plus de soulagement mais plutôt d'impuissance et observe de manière un peu plus stratégique la situation. Penser voiture le ramène un peu plus à la situation et faut reconnaître que pour le coup, elle est vraiment pas en bon état...

- D'accord, oui. Je vais te sortir de là.

Se redressant, il pose les genoux au sol et enfin se bouge un peu. D'abord, il analyse... Les voitures, ça le connait, il doit bien pouvoir trouver un moyen. Il pense pas que la bouger, c'est peut être risqué, il se lance sans savoir. Et puis, peut être parce que l'inconscient donne parfois des pistes, il lui parle en même temps. Faut dire que l'entendre ça le rassurerait...

- Continue de parler... Qu'est-ce qui te bloque ? Juste la ceinture, autre chose ? T'es blessée ?

Question idiote vu le sang qui coulait mais disons qu'il abordait peut être un niveau de blessure supérieur, un truc qui la coincerait, qui l'empêcherait de bouger par exemple... Puis comme il se rend compte que parler remplit le vide et donc semble plutôt efficace, même pour lui, il en rajoute. Est-ce que ça suffira à la rassurer ? Il trouve même une assurance étonnante dans sa voix. Aucune idée de où elle vient. En fait, ça se fait tout seul. Il réfléchit pas, il est pris dans la situation. Il pense juste au problème technique. Quand il pense au problème technique et pas au problème humain, il est beaucoup plus efficace, ça marche beaucoup mieux dans son esprit. Déjà d'ailleurs, ça s'active dans son cerveau. Il cherche dans tout ce qu'il connait, dans tout ce qu'il a déjà expérimenté quel est le meilleur angle d'attaque pour l'approcher et la dégager. Brusquement, il est chez lui. Un problème de voiture à résoudre, rien de plus. Un défi.

- Je suis mécanicien. Je m'y connais bien en voiture. On va y arriver.

Bon, évidemment l'aspect médical, ça lui parle beaucoup moins et pour le moment de toute évidence, il n'y a d'ailleurs toujours pas réfléchi.