Bobby & Andrea

" Elle a le visage violent d'une briseuse de corps et l'air fou d'une amoureuse des mots.

Une coupe de champagne emprisonnée chichement au creux de sa main, un sourire de circonstance placardé sur sa face. Derrière (bien planqués) – les traits du mec le plus blasé sur terre. Posture droite – comme un piquet. Habits élégants mais dégaine de lascar des bas quartiers. La petite chaînette en or qui dépasse, au dessus du col roulé. D'ailleurs, col roulé ? Le concept lui échappe mais d'après Miranda, c'est classieux. Alors, il a consenti à en porter un. Résultat, il tire dessus depuis maintenant vingt bonnes minutes. Andrea, il a l'impression de suffoquer. Miranda est en retard – (la garce). Elle est toujours en retard, il la soupçonne ,d'ailleurs, de vouloir se donner un genre, de vouloir soigner ses entrées. Il a beau embrasser la salle du regard, la foule qui se presse çà et là devant des œuvres dites 'd'art', des monstruosités à peine qualifiables, d'après son humble avis. Il est là, il cherche un mur à tenir mais tout ce qu'il trouve c'est un coin pas trop éloigné de l'entrée qui d'après lui, peut très vite se transformer en sortie de secours si ça vient à tourner au vinaigre. Pas qu'il n'ait pas la fibre artistique ( parce que de toute façon, faut pas se leurrer, il n'a aucune fibre artistique) mais, toutes ces peintures et ces sculptures et ces ramassis de boîtes de conserves peintes lui donnent envie de s'y essayer, à l'art. Franchement, ça a l'air à la portée de tous. « Tant de spiritualité transparaît de ce tableau. Un peu impressionniste, courant... » - son cerveau gréviste ne décode plus, le reste se transforme en un alignement de lettres avec autant de sens que l'alphabet mésopotamien. UZUIHUFGDGCHDGJGCDGFJY. « vous ne trouvez pas ? ». Il hoche la tête, Andrea, du haut vers le bas. Il fait semblant – comme la plupart du temps où il doit se coltiner des vernissages – d'y comprendre un ou deux trucs alors qu'il n'y comprend foutrement rien. Mis à part que le mec qui a pondu ça n'a même pas dû dépenser plus de deux dollars en matériel et qu'il doit, à cet instant, se faire de merveilleuses couilles en or ( serties de diamants) vu les prix qui se murmurent sans être déclarés. C'est vulgaire de parler fric, apparemment. « Absolument, absolument. Les traits sont bien épais là » il fait extrêmement bien semblant, Andrea et pour agrémenter sa parole, il y joint le geste. Il pointe la bordure du tableau - en restant vague – parce qu'il n'a pas une seule connaissance sur le sujet. Il se verrait certainement dans un bar à tester sa descente en parlant du prochain business de pompes tombées du camion plutôt que debout face à ce qu'il appellerait plutôt une toile rouliplanchiste juste pour la rime. Bien qu'il ne soit même pas sûr que le mot existe. « exactement » - s'exclame le mec sacrément à côté de la plaque. Cette connivence feinte lui tire un rire. Nerveux, le rire. Andrea – commence sérieusement à se demander si les parties de baise et les cadeaux offerts par madame M en valent autant le coup. Il inspire, esquisse un sourire, la crispation faciale témoigne du ô combien il se verrait dans une prison en Corée du nord plutôt que dans cette salle qui se veut «  très à la mode ». Le camarade prend une goulée d'air prêt à poursuivre de ses petits commentaires. Pas dans les perspectives de monsieur Bosco. Il se tourne, compte fausser compagnie à cette foule d'inconnus lorsque son regard se pose sur Bobby. Sans trop attendre – instinctivement, surtout- il décime les mètres qui les séparent et se plante à ses côtés, incroyablement intéressé par l’œuvre mais surtout par celle qui est debout pas loin, Bobby. « Comme on se retrouve ». Elle a sûrement connu meilleure répartie.

Perchée sur des talons de dix centimètres minimum, une robe fluide laissant son dos apparaitre, courte et sexy, comme il le faut. Jason a dit qu'elle lui allait parfaitement bien, qu'elle ressemblait à une princesse. Mouais, plutôt une princesse perdue dans un monde qui ne ressemble pas au sien. Ses cheveux tombent dans son dos, caressant doucement son échine à chaque mouvement de tête. Elle regarde un peu partout, pour voir s'il y a des gens qu'elle connait, mais c'est peine perdue parce que ce ne sont pas des personnes spécialistes dans les bars de la région, non, ils ont tous une tenue classe et élégante et en se voyant dans un des miroirs de la salle pleine, elle a surtout l'impression d'avoir l'air conne. Oui, c'est le mot juste, Bobby elle est ridicule et fait tâche dans le décor avec ses tatouages apparents sur les bras, mais au fond, ça reste de l'art non ? Bien plus beau que ces horreurs accrochées au mur qui font gémir les potentiels acheteurs et qui leur trouent surtout le porte monnaie. Elle soupire, Jason est allé dire bonjour à des gens qu'elle ne connait pas -et qu'elle n'a pas envie de connaitre- et elle fait le tour, s'arrêtant sur certaines œuvres, la tête penchée sur le côté, pour faire comme les autres et s'adapter à tout ce cirque. L'attente devient longue, il ne lui jette même pas un œil, même pas pour vérifier si tout va bien pour elle, si elle ne s'ennuie pas, non, rien, il se fiche bien de ce que peut ressentir Bobby. L'atmosphère est pesante, si bien qu'elle enchaine les coupes de champagne sans s'en rendre compte, mais l'alcool passe en elle comme une boisson énergisante, ça ne lui fait plus rien, au contraire sa seule distraction commence sérieusement à l'ennuyer. Personne ne lui parle, et ça lui va très bien comme ça, on la regarde juste de loin, les célibataires de la région n'osent même pas l'approcher alors qu'ils pourraient très bien embellir sa soirée rapidement par une escale dans un toilette de l'établissement. Mais non, elle reste plantée devant cette toile ridicule, peinte en rouge, et qui exprime le bonheur soit disant, alors qu'elle n'y voit que le meurtre, le sang, la douleur et le rire de l'auteur qui doit bien se marrer en repensant à cette affreux tableau qu'il vend au prix d'une voiture de luxe. Bobby, elle ne voit pas les choses comme elle devrait les voir, elle voit le mal partout, même où il ne se trouve pas, elle ferme les yeux un instant, essayant de penser à quelque chose de plus jovial, mais ça reste peine perdue. Une voix familière la sort de ses pensées et elle se tourne vers Andrea, planté près d'elle, lançant une phrase des plus banales, comme si elle avait envie de le voir ici... Comme on se retrouve, comme on se retrouve... Non mais sérieusement ? Elle lève les yeux au ciel, c'est pitoyable, mais tellement bon de le voir ici, et seul, sans tante Miranda la chasseuse d'enfants. Elle le regarde de haut en bas, ce n'est pas pitoyable, c'est inquiétant. "Un col roulé ? Sérieusement, t'as pas trouvé mieux ?" Elle fait une petite moue, amène sa main jusqu'à sa bouche et rit silencieusement derrière celle ci. Un col roulé, sûrement une idée de Miranda, ça ne peut pas venir de lui ce genre de détails, c'est bien au dessus de son esprit resté dans la rue. Elle jette un œil vers Jason, il n'a toujours pas tourné les yeux vers elle, alors autant profiter de la compagnie de quelqu'un qu'elle connait, en l'occurrence Andrea, et elle n'est pas déçue par la marchandise Bobby. Elle réajuste sa robe, effleurant ses cuisses du bout des doigts, les yeux plantés dans ceux d'Andrea pour qu'il ne détourne pas le regard d'elle, sachant très bien que l'intimité sera bientôt réduite par l'arrivée de Miranda. "D'ailleurs, j'me disais... T'as cassé ta laisse et fuis ta maitresse ?" Etonnant de le voir sans elle collée à ses baskets comme à son habitude.

rien à voir: