Noël approche bientôt et comme chaque année, Cami est en retard dans sa course aux cadeaux. Toujours trop d'idées, d'objets brillants si bien qu'elle rêve de tout acheter et finit par en garder la moitié pour elle. Elle a toujours été ce genre de filles à courir les magasins à la dernière minute pour trouver le cadeau idéal. Néanmoins, cette année, quand elle annonce à Camryn et Astrée qu'elle part faire des courses (sous-entendu acheter leurs cadeaux donc merci de ne pas la suivre et gâcher la surprise) son sourire est forcé. Depuis ses retrouvailles bouleversantes avec son mari, c'est tout ce que Cami peut faire. Tenter de masquer la vérité derrière un sourire qui n'atteint pas son regard et prétendre que tout va bien même quand c'est évident que ce n'est pas le cas. L'envie de s'enfermer dans le noir et de pleurer toutes les larmes de son corps est constante. Celle de tout déballer à ses amis, vider son sac un bon coup aussi mais Cami vit dans la peur de voir le même dégoût dans les yeux de ses proches que celui qu'elle a vu dans ceux de Luke. Alors elle se tait et essaie d'éviter un maximum le contact humain le temps de faire le tri dans ses idées. Ca parait pourtant impossible. Comment les choses peuvent-elles redevenir à la normale quand Luke vit dans la même ville qu'elle avec leur fille ? Comment repartir à zéro de nouveau, faire comme si elle avait tiré un trait ? Il y a un moment où la vérité va éclater et où toute la vie de Cami changera du tout au tout. Mais cet instant l'effraie. Elle ne veut pas que les choses changent, elle ne veut pas devenir la cancéreuse qui a abandonné sa famille. Alors, à la place, elle ferme les yeux. Prétend que les choses vont bien pour l'instant et peut-être que ça durera encore quelques jours de plus. Elle offre un énième faux-sourire à ses amies, attrape ses clés, son sac et sort de chez elle avec la ferme intention de respirer de l'air frais et d'essayer d'aller mieux pour le soir à venir. C'est ce qu'elle se dit : sois forte jusqu'à ce soir, écroule-toi quand tu es seule et puis recommence à sourire. Dans tous les cas, elle n'est pas sûre que cette journée lui fasse tant de bien parce que c'est un de ces jours. Ceux où elle doit se rendre à l'hôpital pour passer un scanner et surveiller la progression de son cancer. Ces jours où Cami avance la peur au ventre, de peur qu'on lui annonce que la tumeur est revenue. Qu'il va falloir tout recommencer : les traitements, la torture du lit d'hôpital. Au final, Cami ne tente même pas de faire les magasins. Elle s'assoit dans un petit café, commande cappuccino sur cappuccino et ignore son ventre qui gargouille. Elle a l'impression qu'elle pourrait vomir. Quand l'heure arrive enfin, Cami se lève (la tête qui lui tourne légèrement) et se rend à l'hôpital, le coeur lourd dans la poitrine. Depuis son arrivée à Memphis, Cami a veillé à ce que le moins de personnes soient au courant pour son cancer. Aussi, c'est toujours la même infirmière qui s'occupe de l'emmener en salle de scanner pour ne pas que la nouvelle se répande. Généralement, Cami prétend avoir une amie là-bas et faire du bénévolat pour camoufler la vérité. Quand elle arrive, on l'informe que son infirmière est occupée et l'invite à attendre dans la salle d'attendre. Une fois installée, elle sort son portable et trouve plusieurs messages de ses amis. C'est tellement plus facile de mentir derrière un écran, de camoufler le nuage noir qui flotte autour d'elle. Elle envoie des textos remplis de bonne humeur, d'excitation et de smileys, espérant que cela camoufle son malaise quand elle les verra le soir-même. Elle est occupée sur une de ses applications quand elle relève la tête et l'aperçoit. Au début, elle n'y prête pas attention mais deux secondes plus tard, elle se redresse brutalement au point que sa nuque craque. Et il est bien là. Comme un mirage. Luke avec une petite fille sur ses genoux. Tellement magnifique. Cami sent sa respiration s'arrêter dans sa poitrine. Devant elle se trouve Wendy, le bébé qu'elle a porté pendant neuf mois, qu'elle n'a jamais arrêté d'aimer. Cami se sent hyperventiler. Quelle autre réaction avoir ? Elle voit le sang sur le bras de sa fille, son visage poue la première fois et surtout Luke dont elle rêve à en faire des cauchemars. C'est trop pour elle. Cami se lève s'en sans rendre compte, pas certaine de savoir où aller ni quoi faire mais persuadée qu'elle ne peut pas rester là. Que fera Luke quand il la verra ? Leur dernière conversation était finale. Elle est arrivée à le pousser au-delà de ses limites et à cet instant, il doit la haïr de toutes ses forces pour être si égoïste. Oui, Cami ne peut pas rester là. « Vous allez bien mademoiselle ? » lui demande-t-on quand elle titube mais le monde devient déjà noir. La dernière chose à laquelle elle pense, c'est qu'elle aurait dû manger quelque chose. Puis elle s'évanouit, le visage de sa fille sur les genoux de son père inscrit dans sa rétine.

Quand Cami reprend connaissance, il lui faut du temps pour se rappeler ce qui s'est passé. Elle cligne des yeux plusieurs fois et finit par apercevoir un plafond blanc qui la paralyse d'angoisse. Elle se sent arrêter de respirer alors qu'elle bouge ses mains pour s'assurer qu'elle n'est pas là où elle pense être. Mais si, dans le dos de sa main droite, violemment enfoncée, l'aiguille de l'intraveineuse qui lui permet de savoir qu'elle est bien à l'hôpital. Allongée dans un de ces maudits lits et Cami doit prendre sur elle pour ne pas paniquer et s'enfuir aussi loin que possible. Elle sait qu'arracher l'aiguille n'amènera à rien - elle l'a fait un jour et elle l'a amèrement regretté. Doucement mais sûrement, Cami referme les yeux et s'oblige à prendre de longues et profondes respirations. Inspirer. Respirer. Et réfléchir. Quelle est la dernière chose dont elle se rappelle ? Des cheveux blonds, presque couleur blé. C'est la première chose qui lui vient à l'esprit et elle fronce les sourcils, pas certaine de ce que ça signifie. Cami ne peut s'empêcher de remuer un peu dans le lit, mal à l'aise d'être allongée comme ça et c'est à ce moment qu'elle sent une présence près d'elle. La jeune femme peut presque sentir la chaleur humaine se dégager d'à ses côtés et elle se demande qui peut bien être à son chevet. L'hôpital aurait-il appelé son contact d'urgence ? Depuis combien de temps est-elle dans les vapes ? En tout cas elle a dû se cogner la tête parce que son crâne la lance à chaque pensée et c'est dur de se rappeler qui est la personne à contacter en cas d'accident dans son dossier médical. Bêtement, elle se dit que c'est peut-être toujours Luke, son cher mari. Et d'un coup, tout lui revient. Le café. Le stress de sa semaine. Le manque de nourriture. La salle d'attente. Luke qui arrive. Leur fille dans ses bras avec du sang sur elle. Son visage si parfait. La peur qui l'a envahie. Elle qui se lève. Elle qui s'écroule. Elle a dû se faire mal en tombant d'où la migraine, pense-t-elle distraitement pour éviter de réfléchir à l'inévitable. Mais finalement, elle ne tient plus et ouvre les yeux. Elle tourne la tête sur le côté et sans surprise, Luke est là. Elle le connait encore assez pour voir l'inquiétude sur son visage et c'est comme s'il lui enfonçait un couteau dans le coeur. Parce qu'il est là, à s'inquiéter pour elle, la femme qui ne mérite pas son amour. Cami détourne aussitôt la tête. Le voir devient de plus en plus insupportable. C'est comme une gifle en plein visage, se dire qu'elle a laissé derrière elle tout ce bonheur - c'est trop à supporter après avoir entendu les supplications de son mari, l'avoir laissé semer le doute en elle. Cami regrette rapidement d'avoir regardé ailleurs parce que la seconde d'après ses yeux se posent sur sa fille. Wendy. Assis au bout de son lit, une infirmière souriante en train de la recoudre avec une aiguille qui donne à Cami envie de tourner de l'oeil. Ce n'est qu'un bébé... Et c'est son bébé. C'est encore plus dur à encaisser. Tellement d'émotions que la jeune femme ne sait plus quoi en penser, elle se sent écraser par tout ce poids sur sa poitrine. Amour, émerveillement, tendresse, regret, chagrin, culpabilité. Le pire de tout reste cette affreuse vérité : Wendy est là et elle ne sait pas qui est Cami. Et autant qu'elle le désire, elle n'a aucun droit de se lever et de la prendre dans ses bras. Ce droit, elle l'a perdu en l'abandonnant et le regret la prend au cou, goût amer dans sa gorge qui l'étouffe. Cami se sent prise au piège sous les couvertures, une envie de s'enfuir, de disparaître. L'infirmière réalise qu'elle est réveillée et lui sourit avant de lui expliquer que le médecin ne devrait pas tarder. Cami ne répond pas, se sentant catatonique. La migraine est terrible et ce qui l'entoure irréel. Elle finit par détourner les yeux et se mord la lèvre à sang pour ne pas se mettre à pleurer. Elle ne peut pas regarder Luke, pas regarder Wendy. Elle est près de sa famille et elle en a si souvent rêvé mais c'est une véritable torture. Le médecin finit par arriver. « Mademoiselle Wells, content de vous voir réveiller. Vous avez mal quelque part ? » demande-t-il en sortant une petite lampe et en lui demandant de suivre la lumière des yeux. Cami est familière avec l'examen et se laisse faire, réconfortée d'avoir quelque chose d'autre à quoi penser. « Ma tête me lance, » finit-elle par répondre et le médecin hoche la tête. « C'est sans doute la chute. Le scanner que vous deviez faire aujourd'hui permettra en même temps d'écarter toute possibilité de commotion. Mademoiselle Wells, j'ai cru comprendre que vous veniez ici pour surveiller votre cancer ? Votre évanouissement est-il le premier que vous subissez ? » Cami se rétracte un peu dans le lit comme pour disparaître. Elle déteste ce mot. Déteste que sa famille soit là pour l'entendre, assiste à la scène. Elle voudrait qu'on la laisse tranquille. Elle sait ce que le médecin sous-entend. Que sa perte de connaissance pourrait être un symptôme du cancer mais elle a la certitude que ce n'est pas le cas. « Je n'ai pas mangé aujourd'hui, j'ai dû faire une crise d'hypoglicémie, » répond-elle les yeux baissés, se sentant honteuse. « Dans ce cas, l'intraveineuse doit faire effet et quelqu'un viendra vous chercher dès que le scanner sera disponible. Je vous laisse vous reposer auprès de votre famille. » Et c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. La digue qui craque et Cami se met à pleurer hystériquement. Elle se recroqueville sur elle-même, presque enfouie sous sa couette. Elle aime Luke. Merde, elle l'aime à en crever. Et sa fille est là et elle veut lui dire qu'elle l'aime plus que tout au monde. Qu'elle aurait donné sa vie pour elle. Et pour la première fois en trois ans, Cami est terrifiée de réaliser qu'elle a peut-être fait la pire erreur de sa vie en partant. Et juste cette pensée la tue. A cet instant, la mort semble plus douce que la réalité qu'est devenue son existence. Parce que Wendy et Luke ne sont plus sa famille.

Plus les secondes passent, plus la situation devient insoutenable pour Cami. A écouter le médecin parler d'un ton rassurant mais trop barbant pour être véritablement sincère - une voix monotone qui lui donne envie de vomir. Cami déteste les médecins. C'est peut-être cruel de sa part parce qu'ils sacrifient beaucoup de leurs vies pour sauver celles des autres, elle le sait. Et si quelqu'un à qui elle tenait beaucoup venait à être blessé, Cami serait reconnaissante qu'un médecin soit là pour lui sauver la vie, l'empêcher de quitter ce monde, loin de Cami. Néanmoins, les médecins restent annonciateurs de mort. La jeune femme est persuadée qu'ils s'entrainent devant leurs miroirs à garder ce même visage neutre, ce stupide sourire rassurant que la nouvelle soit bonne ou mauvaise. Juste être dans ce lit d'hôpital, c'est trop pour Cami qui a envie de creuser un trou et de disparaître. C'est comme un poids sur sa poitrine qui l'étouffe à chaque seconde qui passe. Elle essaie de se créer une bulle, de disparaître dedans mais elle est incapable d'atténuer son entourage. Elle entend les mots du médecin. Et surtout, elle les entend eux. Cami peut encore sentir la chaleur de la main de Luke sur la sienne même si elle en a à peine été consciente. Elle sait que ses doigts étaient là, contre les siens. Et c'est une brûlure qui reste sur sa peau. A la fois réconfortante mais douloureuse. Luke qui semble se détourner de la conversation - par intimité ou par malaise, se demande-t-elle. Luke qui amuse leur fille en agissant comme le père qu'elle a toujours su qu'il serait. Cami perd le fil de la conversation une seconde alors que son coeur s'arrête dans sa poitrine. Voir Luke ainsi, c'est... C'est tout ce dont Cami rêvait, tout ce qu'elle s'est imaginée pendant sa grossesse et quand elle était allongée dans son lit d'hôpital. A contempler le ciel par la fenêtre et à s'imaginer dehors, le vent fouettant son visage, une légère brise d'été dans l'air, un soleil chaud et les rayons qui dansent sur l'herbe, un goût d'orange dans la bouche qui lui rappelle l'été. Une journée au parc en famille, un pique-nique avant que Luke ne parte en pourchassant Wendy pour la manger, les rires de la petite fille résonnant dans le parc. C'est à ça que Cami rêvait quand le temps devenait trop long, la douleur dans chacun de ses muscles insupportable, elle regardait le ciel par la fenêtre et rêvait de la vie qu'elle aurait pu avoir s'il n'y avait pas eu le cancer. Et ironiquement, c'est dans un lit d'hôpital qu'elle voit Luke agir comme un père - une image qui l'a fait retomber amoureuse de son mari à la seconde même, une image qui lui transperce le coeur. C'est dans un lit d'hôpital qu'elle entend sa fille rire pour la première fois. Ce son, c'est le plus beau son du monde. Encore plus beau que celui du coeur du foetus, quand elle a entendu le coeur de Wendy battre pour la première fois. C'est juste trop pour Cami. Alors quand le médecin part, ce sont des larmes hystériques qui glissent sur ses joues et elle se cache sous la couverture, la tête enfouie dans l'oreiller pour étouffer ses sanglots, pour ne pas qu'on voit son moment de faiblesse. Tout ce qu'elle veut à cet instant c'est se retourner vers Luke et l'embrasser. Avec autant de passion que leur baiser derrière le bar la semaine dernière. Elle veut serrer sa fille dans ses bras et lui dire qu'elle l'aime plus que tout. Cami veut tomber à genoux et supplier Luke de lui pardonner ses erreurs, d'être partie. Comment n'a-t-elle pas pu revenir ? Comment a-t-elle pu laisser le cancer gagner indirectement en la privant de toutes ces premières fois ? Elle se sent tellement confuse, blessée, effrayée. Elle veut se tourner vers Luke et lui demander de la réconforter. Mais elle n'a pas le droit d'exiger ça de lui. A travers la couverture, elle entend sa fille demander à son père ce qu'est un cancer. La question pince son coeur. Elle ne voulait pas que Wendy ait un jour à poser cette question - peut-être qu'au fond elle n'a pas fait d'erreur ? Et puis Luke répond avec un tel tact, l'aisance d'un père qui émerveille Cami tout au fond d'elle. Il dit les choses à leur fille mieux que le père de Cami ne le lui a expliqué quand sa propre mère est tombée malade et elle sent une nouvelle vague de larmes l'inonder. A travers sa crise de sanglots, elle se demande si c'est mieux d'avoir sa famille à ses côtés en train de s'inquiéter ou si elle veut les voir partir mais quand Luke propose de s'en aller, Cami bondit hors du lit, comme montée sur ressort. Elle a le visage bouffi et humide - elle doit avoir l'air affreuse, le visage pale, les yeux rouges et gonflés, peut-être même avec de la morve sous le nez et les cheveux en bataille. Elle s'en fiche néanmoins, elle ne prend même pas la peine de réagir. Se saisit juste du poignet de Luke comme si elle avait peur qu'il disparaisse et qu'elle ne le revoie plus jamais. Ses yeux se posent sur sa fille et elle ouvre la bouche. Cami se retrouve comme une idiote, avec aucune idée de quoi dire, les mots coincés dans la gorge. Peut-elle s'excuser ? Le veut-elle ou est-ce le coup sur la tête ? En a-t-elle le droit. Soudain, une infirmière surgit de nulle part. « Mme Wells ? On va vous emmener faire votre scanner. » Cami est poussée dans un fauteuil, son intraveineuse trainée derrière elle et elle se tourne vers son mari, le regard suppliant. « Je... je... » Elle ne finit jamais sa phrase. Elle ne sait pas si elle allait lui demander de rester ou s'excuser. La question restera sans réponse. Le scanner est familier et quand on lui dit de ne pas bouger, elle ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel. Le temps s'écoule lentement avec le bourdonnement de la machine et Cami se retrouve à faire le vide dans son esprit, à ne penser à rien si ce n'est inspirer et expirer. Quand on la laisse sortir, on la ramène au lit attribué aux urgences - chose qui la dérange énormément - avec la promesse de lui amener ses résultats dès que possible. Cami sait qu'ils savent déjà si son cancer est revenu ou pas même s'ils prennent toujours dix minutes si ce n'est plus pour la faire angoisser inutilement - ils parlent de protocole, elle appelle cela de la torture. Elle ne sait pas si c'est du soulagement qui l'envahit ou de la tristesse quand elle voit que Luke est toujours là. Elle essaie de ne pas dévorer Wendy du regard - et échoue lamentablement. Cami se sent plus réveillée, avec un sens accru de la réalité et sa fille attire toute son attention. « Tu es resté, » remarque-t-elle inutilement. Elle a les yeux à moitié baissés, pas certaine de quoi dire, de quoi faire, se sentant trop incertaine dans son propre corps. « Je n'ai pas encore mes résultats si c'est ça que tu attendais ou peut-être que c'est pour... Pour Wendy, » ajoute-t-elle la gorge nouée, effrayée de prononcer le prénom de sa fille devant elle et d'attirer finalement son attention sur elle - parce que, que lui dire ?