Elle s’avance vers le poste d’un pas lent et trainant. Elle n’a pas envie de s’y rendre, Ainara, elle n’a pas la tête à travailler, elle n’a pas la tête à supporter James, pas aujourd’hui. Raphael et elle, ils se sont pris la tête la soirée précédente et elle a passé la nuit à rouler dans son lit, à penser et penser encore aux propos qu’ils se sont dit. Elle n’a pas été douce avec lui, Ainara, contrairement à son habitude. Il l’a cherchée et il l’a trouvée sans problème, Raphael. Déjà, elle était à cran, mais il l’a assommée, complètement. Il peut être con parfois, souvent même. Il a ce don pour se mettre dans les problèmes jusqu’au cou, il est intenable et elle doit l’en sortir, Ainara. C’est son rôle, c’est à ça que sert une grande sœur, non ? Ils se sont engueulés, les paroles ont fusées d’un côté et de l’autre puis il est partie, la laissant seule à ruminer ces conneries, à chercher des solutions. Il ne réfléchit pas, Raphael, il est trop vif, trop impulsif et elle arrive difficilement à le ramener sur terre. Il court après les ennuis, il les cherche et elle doit oublier son rôle de flic, Ainara, pour le sortir du trouble, pour l’empêcher de finir en prison, comme son bâtard de père. C’est un combat qui ne finit jamais et qui selon elle durera toute une vie. Comme elle, il a grandi dans ce quartier pourri, sous l’influence de la rue, mais c’est ancré dans son cerveau, Raphael, contrairement à sa sœur.

Elle laisse la fraicheur matinale lui lécher le visage, Ainara, mais elle lutte pour ne pas retourner chez elle et demander un congé. Elle soupire à l’idée d’affronter le regard de James, ses yeux trop bleus, trop intenses. Elle aimerait se coltiner un autre partenaire jour après jour, une autre personne que lui, hélas, cette décision ne lui appartient pas. Elle voudrait que la tension diminue, mais elle est bien présente et elle ne risque pas de partir. La porto ricaine, elle franchit trop rapidement l’entrée, elle aurait aimée retarder son arrivée de quelques minutes encore, à croire qu’elle a marchée plus rapidement qu’elle ne le croyait. Retenant un soupir, elle se rend à son casier et saisit son arme, avant de l’accrocher à sa ceinture. Il n’est pas encore là, James. Elle prie mentalement pour qu’il n’arrive pas, pour qu’il soit malade et reste aliter au lit durant quelques jours. Serait-ce mieux ? Supporterait-elle de rester cloîtrer dans cette fichue bagnole avec quelqu’un d’autre ? Elle en doute, Ainara. Il est insupportable, James, il la rend folle, mais elle commence à le connaître, la peur de l’inconnu commence à diminuer, à s’estomper, elle s’y habitue tranquillement. Certes, elle ne l’aime pas et elle s’imagine mal l’aimer un jour, mais apprendre à le supporter jour après jour, ne pas céder à la tentation de l’étriper lorsqu’ils patrouillent, c’est déjà un début. Il sera bientôt là, James et elle, elle n’a que son frère en tête, que cette fichue dispute qui l’empêche de penser correctement et qui soustrait tout début de sourire possible sur son visage. Faut dire qu’elle n’est pas souriante, Ainara, surtout pas avec James,  mais elle risque d’être d’une humeur massacrante, aujourd’hui.

Remplacer Miles est sûrement quelque chose d’impossible. Son coéquipier depuis le début. Ils avaient un don pour classer les affaires rapidement. Quelque chose qu’il ne retrouve pas avec les autres. Avec elle. Il n'arrive pas à se faire à son comportement. À elle. À avoir cette femme dans les pattes, à se rendre compte qu’il ne reviendra jamais Miles. Même s’il le sait trop bien. Même si les mois passent et qu’il se doit de faire son deuil, de passer à autre chose. Miles. Pas seulement un coéquipier. Un ami dont il ne peut oublier les rires, les blagues et les heures à attendre au fond de la voiture.
Ce matin. Il doit s’y rendre. Quelques semaines qu’elle erre dans l’endroit, qu’elle fait apparition. Avant elle, les gens de passage dans son équipe le temps de trouver un fidèle. Elle. Cette brune qu’il doit se coltiner depuis quelques semaines. Elle dont il ne connaît pas grand-chose parce qu’il ne demande pas à savoir. Parce qu’il ne veut pas savoir. Parce qu’il ne pose pas de question. Il n’a pas envie de s’accrocher, pour plusieurs raisons. Il n’a pas envie que la mort le frappe une fois de plus. Il n’a pas envie de remplacer Miles.

Ce matin. Il traîne un peu. Son esprit est occupé. Il ne sait pas quoi penser de ce qui a pu se produire avec Aédan. Elle est la fille de Miles. Il ne doit pas franchir la limite. Elle a changé. Elle est venue semer le trouble dans son esprit. Une connerie. Il ne sait pas. La jeune femme a cessé de se conduire comme une gamine, de faire les conneries qu’il méprisait. Plus la gamine. Plus l’enfant qu’il connaît depuis toujours. Une femme. Une femme qui vient semer le doute dans le fond de son crâne et la culpabilité qui vient le ronger. Ça ne doit pas se passer.
Le temps qui file et il prend un peu de retard. Parce qu’il n’a pas le cœur à s’y rendre, à se poser les questions qui ne cessent de le hanter. Un soupir qui passe ses lèvres alors qu’il pousse la porte du poste. Il sait que ce ne sera pas simple. Les journées sont longues cloîtré dans une voiture, pris au piège avec elle.
Il attrape son équipement la pose à sa ceinture et se dirige vers elle. Elle qui l’attend. Elle qu’il n’a pas envie qui soit près de lui. Ça n’a rien de personnel. Juste une place qui ne peut être comblée. Simplement. Une place qui ne se remplace pas et son esprit torturé. Son esprit qui ne se détache pas d’elle. Connerie. Il a envie d’éclater pour ne pas penser à elle. Il ne peut pas penser à elle.

Les mains qu’il enfonce dans ses poches et il se dirige vers elle. Un signe de tête. Ils ne se ressemblent pas. Il ne sait pas pourquoi il doit se coltiner la demoiselle. Il n’a pas la moindre idée de s’ils arriveront à faire équipe ensemble. Un signe de tête alors qu’il s’approche de son bureau à elle. L’ancienne place de Miles. « Reyes. Amène-toi. On part.» C’est lui qui est en retard. Qu’importe. Il n’a pas envie d’entendre. Ça ne lui arrive pratiquement jamais d’être en retard, mais il n’a pas envie de rentrer. Il n’a pas envie d’être enfermé avec elle.
Il se dirige vers la voiture sans parler, prend la place du conducteur et se met en route vers l’endroit où ils devront patrouiller.