Elle aimait l'été, et pas uniquement du fait de son prénom. Elle aimait cette saison pour cette chaleur qui se dégageait dans l'atmosphère. Et elle préférait l'été la nuit, quand les bruits de la villes étaient électriques et denses, intenses. Tout avait une sonorité différente l'été, surtout du fait que la fenêtre restait entrouverte, juste pour respirer. La ville prenait possession des songes, la chaleur prenait possession de son corps. Et seulement couverte d'une chemise volée à cet homme qui avait eu son coeur, elle s'agitait dans cette nuit caniculaire. Les songes étaient sombres et chauds, elle rêvait de baisers volés, de réalisation de fantasmes impossible, de corps qui s'entremêlent, il faisait partie intégrante de ses nuits et ses jours, et le matin arrivé, alors que le réveil retentissait dans la pièce, Summer était décoiffée par l'été, décoiffée par la chaleur, décoiffée par ses rêves torrides. Et comme chaque matin, après s'être étirée, elle alluma une cigarette et alla se placer près de la fenêtres, regardant la ville s'éveiller avec elle, la fumée embrumant son horizon, et lui embrumant ses pensées.
Et si c'était son quotidien, Summer n'en pouvait plus, elle avait mal d'aimer, si fort, si intensément  chaque instant, et elle n'était même pas persuadée que l'accomplissement de cet amour si longuement nié changerait quoique ce soit, ou règlerai les choses, il n'était rien de plus qu'un fantasme, un rêve inaccessible, et comme à chaque fois qu'elle se réveillait de cette manière, Summer fut rassurée parce que ce soir, tout irait mieux.

Kellan était un homme dont elle avait su décelé autre-chose que ce corps parfait qui faisait fondre toutes les femmes. Elle avait su aller plus loin, de part ses textes qu'il chantait si bien et qu'elle comprenait si fort que c'en était insoutenable. Kellan était son meilleur ami, et si l'idée n'était peut-être pas passé auprès du premier meilleur ami de celui-ci, le fait était bel et bien là. Summer était tombée amoureuse de leur musique en même temps que cet homme, alors Kellan faisait sans aucun doute partie de cet amour démesuré. Elle éprouvait une connexion avec lui, et ce soir, elle le voyait, c'était prévu. Bien que n'était pas toujours prévu, ils se voyaient si souvent à l'improviste que chacun s'attendait à la visite de l'autre à n'importe quel moment.
Mais aujourd'hui ils avaient faits les choses dans les règles, convenant d'un soir, convenant presque d'une heure. En fait, il était prévu que Summer tape l'incruste chez lui en rentrant du travail. L'avantage avec Kellan, c'est qu'elle se changeait les idées, et que le soir, la dernière clope était traditionnelle, et commune, et alors ils appréciaient les bruits de la ville, les bruits de l'été ensemble, et c'était magique. Magique de vivre ça avec lui, sans aucune autre attente, sans aucune crainte de ce que l'autre peut penser, parce que c'était tout simplement naturel. C'était tout simplement eux.

Summer tira donc sa journée, souriant aux clients, se laissant lobotomiser doucement par le bip incessant lorsqu'elle passait un article à la caisse. Bonjour, vous avez la carte du magasin, cela fera autant, merci, passez une bonne journée. Summer ne détestait pas son travail, elle était toujours d'une ponctualité, d'une gentillesse, d'une politesse exemplaires. Mais elle ne s'épanouissait pas dedans, ce n'était d'ailleurs pas son but, son but était davantage de se faire de l'argent pour profiter de la vie qui se tramait au dehors, les concerts, la vie la nuit, tout ce petit monde qui grouillait dehors et ne demandait qu'à être exploré.

Après s'être changée aux vestiaires, elle ré-enfila ses scandales et sorti du magasin, le coeur léger, après avoir salué ses collègues. Elle prit le chemin vers chez Kellan comme un enfant se précipitant à la récréation. L'avantage était qu'ils étaient si proches que Summer avait les clés de chez lui, et réciproquement, alors une fois arrivée devant chez lui, elle prit à peine le temps de sonner pour signifier sa présence, surtout qu'il avait une colocataire. Elle avait besoin de se vider la tête ce soir, et il était la personne idéale pour le genre de soirée qu'elle voulait passer. Elle ouvrit la porte et en la refermant derrière elle, entreprit de chercher Kellan, pressée de le retrouver.

La lumière me brulait les yeux, les rayons du soleil me brulaient la peau et il faisait une chaleur étouffante lorsque j’ouvris un œil. La nuit avait été longue. Mes souvenirs étaient embrouillés, c’était un enchevêtrement de petits bouts d’épisode, de mots, de rires qui éclatent, de musique et de … baise. J’étais rentré chez moi par je ne sais quel moyen et je m’étais affalé sur mon lit, tout habillé, la tête enfumée. La voix de la fille que j’avais rencontrée dans le bar m’avait parue sensuelle lorsqu’elle m’avait parlé, le son de sa voix mélangé à la musique. Mais une fois à l’extérieur, dans la quiétude de la nuit, sa voix criarde m’avait fait saigner les oreilles. Et bien que ce ne fut pas pour ses octaves que je me retrouvais là, la fille m’entrainant à sa suite en me tirant par la main, je me promis de ne plus jamais finir la nuit avec une fille qui avait un organe pourri. Même lorsqu’elle avait hurlé sa jouissance dans son appartement j’avais cru mourir tellement le son avait été strident et simplement atroce. Mais je m’étais laissé entrainer ce soir, elle n’avait pas cessé de frotter son cul contre ma braguette et je m’étais retrouvé avec une trique d’enfer, prête à faire sauter les boutons de mon jean. Jamais je n’aurais pu rentrer chez moi avec le membre aussi dur qu’une barre de fer, je serais devenu fou et me soulager seul alors que j’avais un petit cul à portée de main était inimaginable.

J’avais passé le reste de ma journée la tête dans le brouillard, excédé par les appels incessants de mon père. Jude m’avait averti qu’il ne passerait pas aujourd’hui, il avait un rendez-vous avec le gérant d’un bar. Heureusement qu’il était là pour veiller à tout, il avait un talent pour gérer nos déplacements et tout le bordel qui accompagnait nos concerts. Il était mon second, mon bras droit, ou ce que vous voulez. J’étais peut-être le leader du groupe, parce que j’étais la voix, mais Jude avait occupait le haut de la pyramide – si on pouvait appeler ça comme ça – avec moi. Il était un véritable frère pour moi, nous avions grandis ensembles, fait les pires conneries possibles mais contrairement à moi  - ou pas – c’était un vrai crétin de première. Il n’ouvrait pas les yeux, tout ce qu’il savait faire c’était se comporter comme l’enfoiré de première – parfois pire que moi – et surtout avec ma meilleure amie, Summer. Mon rayon de soleil. Depuis qu’elle s’était imposée – oui je choisis bien mes mots – dans nos vies et surtout dans la mienne, elle avait su m’apporter de la fraicheur, de la joie de vivre et toute sa personne avait su me redonner le goût à certaines choses. Mais depuis bien trop longtemps à mon goût, elle s’accrochait à ce sombre crétin qui me servait de meilleur ami. Et ça la faisait souffrir. Mais que pouvais-je faire mise à part être le spectateur de cet attachement plus ou moins à sens unique ?! Parfois Jude semblait avoir des sursauts de lucidité, mais à peine une lumière brillait dans ses yeux, que tout s’éteignait et qu’il agissait comme un gros con. J’étais exaspéré. Summer devait passer ce soir, nous avions prévu de nous faire une petite soirée comme nous avions l’habitude de faire. Rapidement je lui avais filé une clé de la maison, pour qu’elle se sente ici chez elle.  J’habitais seul, ou presque, et savoir qu’elle pouvait aller et venir comme bon lui semblait me réchauffer l’âme.

En fin de journée je décidais de me pencher un peu sur ma nouvelle composition. J’avais pas mal avancé, les mots étaient sortis rapidement, noircissant le papier, se mêlant les uns aux autres pour raconter un épisode de ma vie. Je composais la grande majorité de nos chansons, posé les bases de l’accompagnement mais c’étaient principalement les gars qui se chargeaient de faire la musique en elle-même. Et puis j’avais juste à poser ma voix sur la mélodie pour délivrer une véritable chanson, qui ferait un carton ou pas. La guitare posée sur les genoux, je laissais l’air frais me balayer le visage et le corps. Pour composer j’avais toujours préféré être en extérieur, me laissant guider par les bruits alentours, me laissant porter par la légèreté du moment malgré les paroles parfois lourdes de sens pour moi. Mais depuis déjà une bonne heure et demie je bloquais sur un putain d’accord qui me foirait toute la musique. Impossible de placer mon mot pour qu’il sonne juste, pour qu’il fasse passer ce que je voulais. Et je commençais sérieusement me prendre la tête. Colérique – seule chose que mon salopard de géniteur m’avait gentiment léguée – je m’emportais souvent pour un rien. J’avais beau avoir fait ma séance de boxe et être allé courir un peu plus tôt, ce blocage me rendait dingue. Je balançais le verre à côté de moi à travers la terrasse. Il éclata contre le mur en un million de petits bouts scintillants dans le jour déclinant. Un geste inutile qui me calma quelques secondes seulement.

Soudain la porte de l’entrée claqua et je me redressais soudain. Plongé dans mes pensées et mon travail je n’avais pas vu les heures défilées et donc pas imaginé une seule seconde que c’était Sun – surnom que je lui avais donné parce qu’elle n’évoquait pour moi que la chaleur de l’astre et que son prénom s’y prêtait bien. Je posais la guitare contre le mur tout en me levant. Je ne pris pas le temps d’enfiler un tee-shirt, mon jean tombant lâchement sur mes hanches, de toute façon Summer connaissait déjà pratiquement tout de moi, alors un torse nu – ce n’était de toute évidence pas la première fois qu’elle le verrait, je finissais souvent torse nu sur scène, la chaleur étant trop grosse. En quelques enjambées je me retrouvais devant elle, la serrant contre mon corps, entourant ses frêles épaules de mon bras et lui déposant un baiser sur le front. « Sun ! J’avais pas vu l’heure. Ca va ? » lui demandais-je en la tenant à bout de bras tout en l’examinant. Ses yeux rouges, la peau légèrement sombre sous ses cils, la fatigue semblait l’avoir rattrapée : « T’as une sale mine … Tu sais il va falloir que tu arrêtes tes rêves torrides, t’as qu’à demander si tu veux me voir nu … » lui dis-je, un sourire espiègle sur les lèvres. Il n’y avait jamais rien eu d’ambigü entre elle et moi et pourtant Sun était une femme très attirante, mais … c’était un peu comme si on s’était reconnu dans le noir, elle était une sorte d’âme-sœur, elle ne pouvait être que ma meilleure amie. Je la lâchais doucement pour me diriger vers la terrasse pour tirer une clope de mon paquet tout en en tendant une à la belle blonde.

La relation entretenue avec Kellan avait d'exceptionnel que parfois un seul regard suffisait. Il lisait en elle, il avait appris cela avec les années, et elle, si réservée sur ça d'origine, s'était laissée aller à lui raconter, lui raconter cette enfance brisée, cette après-midi où elle avait tant marché, et où ses pieds lui faisaient terriblement mal. Elle avait marché toute sa vie après des hommes qui ne lui avaient pas accordé l'attention que méritait cet amour qui débordait en elle. Parmi ces gens trop préoccupés par eux-mêmes, Kellan avait été celui qui s'était arrêté et qui l'avait regardée. Il l'avait regardée tellement fort qu'il avait vu ce qu'il y avait en elle aussi, il avait sur déceler ce qui voulait tellement rester à l'intérieur. Summer, en réponse à cet attachement, s'était jurée de faire tout pour améliorer un peu le quotidien de cet homme. Il avait souffert, lui aussi, et il souffrirait toujours, ils étaient de ces personnes qui ne sont jamais heureuses à 100 pourcent et qui se contentent juste de profiter d'un instant, d'une seconde où tout n'est pas pourri. Ils réfléchissaient trop. Et Summer savait que c'était cela qui faisait que Kellan écrivait toujours des textes qui touchaient les gens, il voyait toujours juste. Il était maladroit avec les femmes, mais sa sensibilité était là plus qu'en n'importe quelle autre personne. Il s'était créé un mur entre lui et l'univers pour subsister, pour y survivre, et elle était passée derrière.

Quand elle arriva près de la terrasse, Kellan arriva vers elle rapidement et l'enlaça dans ses grands bras. Summer adorait ces grands bras là, ils lui donnaient l'impression d'avoir un grand frère. D'avoir quelqu'un pour la soutenir, quelqu'un qui la comprenait parfois mieux qu'elle-même et qui visait toujours juste. Elle sourit. « Sun ! J’avais pas vu l’heure. Ca va ? » Il s'écarta, lui tenant les épaules, et la regardant comme il la regardait toujours: pour de vrai. Summer avait au début trouvé cela fort déroutant, mais maintenant elle trouvait cette sensation plaisante, après tout, elle n'avait jamais rien à lui cacher. Il transperçait son âme à chaque fois. Elle détourna légèrement le regard malgré tout, parce qu'elle savait, elle savait qu'il aurait préféré qu'elle ne soit plus amoureuse, qu'elle ne se tourmente pas à cause de Jude, qu'elle profite de la vie à part entière, mais Jude avait pris une trop grande place, si on lui enlevait, elle avait l'impression qu'elle ne serait plus qu'une coquille vide. « T’as une sale mine … Tu sais il va falloir que tu arrêtes tes rêves torrides, t’as qu’à demander si tu veux me voir nu … » Elle vit son sourire espiègle et rit légèrement : « Je suis désolée, tu sais bien que tu alimentes tous mes fantasmes, mes nuits ne seraient plus aussi savoureuses sans ça ! ... mais tu es mal placé pour me parler de ma mine, t'as encore « fêté » toute la nuit à te voir ! » En effet, elle savait voir dans le visage de Kell cette fatigue propre aux lendemains de veille, il avait sans doute du clôturer sa nuit avec une autre de ces créatures qui possédaient son corps pour une nuit mais jamais ne saisissaient son coeur. Elle attrapa la cigarette qu'il lui tendait et sorti habilement son briquet, alluma celle de Kellan avant la sienne et alla s'asseoir sur un siège. Elle ramena ses genoux vers elle en tirant profondément sur sa clope, se rendant seulement compte qu'il s'agissait de sa première depuis qu'elle avait quitté le travail. Elle balada son regard et constata la guitare, les papiers, et le verre cassé, plus loin. « Tu as bien avancé ? Tu bloques ? » Ajouta-t-elle plus sérieusement en désignant le verre du menton.
Summer aimait aider Kellan mais ne s'imposait jamais, mais lorsque le moindre conseil qu'elle donnait fonctionnait, elle se sentait fière et utile, de plus il prêtait toujours une oreille attentive à ce qu'elle avait à dire. Si tel n'était pas forcément son but, elle était toujours étonnée, en y réfléchissant, de se dire qu'elle avait une influence sur le groupe sans même s'en rendre compte réellement. Après tout, elle était davantage qu'une simple groupie, elle en fréquentait même assez bien pour savoir qu'elle n'avait rien à voir avec ces filles qu'elle croisait souvent à leurs concerts. Elle se sentait davantage comme une mascotte et était naturellement intégrée à la plupart des événements. Summer n'aurait échangé sa place pour rien au monde.
Elle observa le bel homme en fumant sa cigarette. Kellan s'embellissait avec le temps, les traits de la « vieillesse » lui allait comme un gant, elle aurait très bien pu craquer pour lui, la raison de cette non-attractivité restait un mystère, mais un mystère qu'elle ne désirait pas résoudre, ils étaient juste eux, et ça avait une valeur inestimable, plus que n'importe quelle relation d'amour. Elle sourit : « On commande des pizzas ce soir ? Ca fait trooop longtemps, j'ai l'impression de commencer à avoir une vie saine, ça ne me plaît pas trop » Son nez se plissa sous son sourire canaille et elle tendit le bras pour laisser tomber sa cendre dans le cendrier, regardant les pages noircies, les phrases barrées. Elle était curieuse de savoir ce qu'il avait écrit, mais comme toujours elle attendrait qu'il lui demande son avis, on ne perturbe pas un artiste dans son travail.
Si Kellan était bloqué, il devait être frustré, elle connaissait cet aspect colérique de sa personne et avait toujours sur le gérer malgré ses bras tous frêles, peut-être qu'elle avait les mots qu'il fallait ou que son calme apaisait son meilleur ami, elle ne savait pas trop, mais cela n'avait aucune espèce d'importance, il y avait bien des choses qui ne s'expliquaient pas, et elle était presque fière de cette relation si particulière, bien qu'elle n'en tira aucun espèce davantage en s'en vantant près de quiconque, Summer n'était tout simplement pas « comme ça ». Bref, elle espérait que cette colère s'apaise et s'il devait encore écrire, il savait très bien qu'elle lui laisserait l'espace nécessaire pour ce faire, ne heurtant pas son inspiration sous aucun prétexte. Leur respect mutuel n'avait pas de limite.