C'est une journée comme une autre pour Cami. C'est bientôt les fêtes de fin d'année et bien qu'un peu toujours mélancolique en cette période - des souvenirs amers qui rôdent autour d'elle et lui donnent envie de passer ses journées au lit - la blonde reste néanmoins souriante et enjouée, à son habituel. Ce soir-là, elle est au bar de bonne heure avec ses collègues et meilleurs amis. Les fêtes sont toujours une période qui rapporte gros et aussi commencent-ils à pendre des décorations au plafond pour donner un air plus festif au Camilan&Astryn. Le bar, pour Cami, c'est un deuxième chez elle. C'est sans aucun doute un des endroits où elle se sent le mieux, son projet, son bébé, celui qui lui a redonné goût à la vie après avoir passé un an à être sous traitement pour soigner son cancer - des traitements qui ressemblaient plus à de la torture, elle malade et incapable de bouger de son lit. Et puis elle a rencontré Milan, Astrée, Camryn, sa deuxième famille. Tout ça lui a permis de remonter la pente, de devenir la jeune femme qu'elle est aujourd'hui, toujours souriante, prête à s'amuser et à profiter de la vie à cent pour cent. Juste voir la blonde à cette instant, à courir dans tous les sens, taquinant ses amis et manquant de s'étaler à quelques reprises par terre (honnêtement, elle marcherait pieds nus si elle ne savait pas à quel point le sol est sale malgré leurs efforts pour le nettoyer) en trébuchant sur ses propres talons - à cet instant, Cami est la joie de vivre incarnée. Ils mettent de la musique et Cami chante sur presque toutes les chansons à tue-tête, discute de tout et rien avec ses amis. Le Camilan&Astryn, ce n'est pas du travail, c'est sa famille. Avant d'ouvrir, ils vont tous manger un morceau ensemble avant que Cami ne parte se changer dans les vestiaires du bar. Au fil des années, ils ont misé sur le côté sexy et sauvage du bar et Cami a toute une garde-robe en cuir et en mini-jupes. Elle enfile un short jean avec un débardeur rouge en voile, une seule bande de tissu pour couvrir la poitrine, son nombril visible à chaque mouvement. Des talons, une touche de gloss et très vite, le bar ouvre ses portes. Tout de suite, ils sont submergés de travail. Cami accueille les clients, flirtent avec les habitués et sert les verres en faisant tourner les bouteilles entre ses doigts pour le spectacle - autrefois assez maladroite, depuis qu'elle arrive à jongler avec les bouteilles d'alcool et qu'elle sert en salle, elle est devenue extrêmement habile avec ses doigts. Les heures s'écoulent et le bar commence à être rempli à craquer. Deux ans à faire ce métier et Cami sait que très bientôt les videurs vont devoir commencer à refouler des personnes. Un homme vient s'installer au comptoir et offre un sourire charmeur à Cami qui lui en offre un retour en s'approchant de lui. Elle pose ses coudes sur le comptoir et demande avec un air charmeur : « Je vous sers quoi ?» « Deux shoots de téquila. » Cami hoche la tête et remplit rapidement deux verres, pousse le sel et deux tranches de citron vers l'homme qui lui tend une vingtaine de dollars en retour - les bénéfices du flirt, les pourboires sont toujours généreux. L'homme pousse un verre vers elle. « Y en a un pour toi ma jolie. » Cami sourit. Ce n'est pas la première fois qu'un client lui offre un verre et la blonde a appris à ne pas les refuser. Quand elle en a déjà trop bu, elle a trouvé un moyen de ne pas avaler l'alcool mais ce soir c'est le premier et Cami descend le shoot avec facilité. Soudain une des chansons préférées de Cami se met à passer et elle ne perd pas de temps à monter sur le comptoir - une autre spécifité du bar. Elle se met à se déhancher en rythme avec la musique sous les hurlements de la foule. Elle ne sait pas combien de temps elle reste là-haut à jouer avec la musique, les cheveux emmêlés, le short bas sur ses hanches. L'homme de tout à l'heure et quelques habitués (deux amies que Cami reconnait et à qui elle offre un clin d'oeil) et les rejoigne sur le comptoir où elle et ses collègues se déhanchent comme à leur habitude. Quand les bonnes chansons ne passent plus, Cami redescend du bar et recommence à servir. L'homme - qui laissait courir ses mains sur le bas de son dos il y a plusieurs minutes - revient à la charge. Cette fois il commande une bière. « Tu fais quoi après ton service ? » Nouveau sourire charmeur. « Attends-moi à la sortie, » répond-elle avec un clin d'oeil avant de retourner travailler. Cami ne remarque jamais le visage familier dans la foule. Un visage qui va transformer cette journée en un cauchemar éveillé.

Cami est en train de servir une tournée de bière quand elle entend son nom être prononcé dans son dos. La voix lui dit quelque chose aussi se dit-elle que c'est sans doute un habitué ou un ami tout simplement venu lui dire bonsoir. « Une seconde, » s'écrie-t-elle, le sourire aux lèvres alors qu'elle finit de décapsuler la dernière bière. Elle attrape les cinq bouteilles et se tourne vers les clients qui attendent, leur tend les boissons commandées tout en récupérant les billets. Elle les range rapidement dans la caisse, rend la monnaie et passe une mèche blonde derrière son oreille avant de tourner son attention vers la personne qui l'a appelée. « Oui ? » demande-t-elle en parcourant la foule du regard pour trouver son interlocuteur. Soudain, son souffle se bloque dans sa poitrine alors que ses yeux se posent sur lui. Luke. Son mari. C'est comme un rêve, lui en plein milieu de son bar à la dévisager comme s'il voyait un fantôme. C'est ce qu'est Cami. Trois ans qu'elle l'a quitté pour se diriger vers sa sentence - la mort. Mais Cami n'est pas morte, elle est là, bien vivante après avoir... Oh mon Dieu, pense-t-elle. Après avoir dansé sur le bar et allumer un client. Devant les yeux de son mari. C'est tout son passé qui revient s'écraser sur elle - comme une claque en pleine figure, un immeuble qui s'écroule, un crash d'avion. Cami lance un regard affolé vers ses amis et collègues. Ces gens qui sont comme sa famille et qui ne connaissent rien de son passé. Une vérité qu'elle leur a caché parce qu'elle ne voulait pas voir leurs regards quand elle leur avouerait qu'elle a un cancer, qu'elle s'en est miraculeusement sortie mais qu'elle n'a pas eu le courage de rentrer chez elle où son mari et sa fille l'attendaient. Elle leur a laissé croire qu'elle était morte et pour beaucoup, ce serait une décision de lâcheté mais Cami ne voyait pas d'autre choix. Luke semble aussi choqué qu'elle - quel était le hasard qu'il vienne à Memphis de toutes les villes de Etats-Unis dans son bar, vraiment ? Elle le voit articuler puis toucher son annulaire - là où autrefois ils portaient leurs alliances. C'est comme un coup de couteau dans la poitrine alors qu'elle réalise que Luke ne l'a jamais oubliée. Cami n'est qu'un monstre, elle a envie de vomir tellement elle se dégoûte d'avoir recommencé sa vie quand l'homme qu'elle aime encore plus que tout n'a pas avancé avec la sienne. Et leur fille... C'st le coup de grâce pour la blonde. Juste imaginer que sa petite Wendy soit... Pouvoir la rencontrer, la serrer dans ses bras, c'est trop pour Cami. Elle se tourne brutalement vers Astrée, ne pouvant pas rester là. Trop de monde, elle se sent étouffée. Et elle veut garder son secret ; et à rester trop longtemps immobile sous cette foule de regards... « Je... Je ne me sens pas bien. Il faut que j'aille prendre l'air. Continuez sans moi. » Cami s'enfuit. Elle sort de derrière le comptoir et elle se met à naviguer vers la sortie. La foule la pousse et soudain elle rentre contre un corps solide et chaud. Elle lève les yeux. Luke. La peur se lit sans doute sur son visage alors qu'elle perd toute couleur. Elle ne reste pas, elle court se réfugier dehors. L'air frais ne l'aide pas à se sentir mieux et Cami se met à faire les cents pas, à passer ses mains dans ses cheveux. « Oh mon dieu, oh mon dieu, oh mon dieu, » répète-t-elle encore et encore. Qu'est-ce qu'elle va faire maintenant que son passé la rattrape ?

Les pensées se bousculent dans la tête de Cami. Elle ne sait plus quoi faire, quoi penser. Doit-elle retourner à l'intérieur parler à son mari ? Ou doit-elle fuir ? La deuxième option semble plus attrayante. Elle a beau chercher et chercher, elle ne voit pas comment expliquer la situation à Luke. Comment justifier trois ans à lui avoir laissé croire qu'elle était morte. Elle ne l'a jamais imaginé d'ailleurs. Parfois, elle y pensait mais elle n'a jamais cru que ça arriverait réellement. Elle est partie loin de Seattle dans une ville où elle savait que son mari n'avait aucun contact, aucun repère. Les chances pour qu'ils viennent à Memphis étaient ridicules. Comme ses chances de survie, pense Cami. Elle aurait dû savoir qu'il ne faut jamais se fier aux statistiques. Ce ne sont que des mensonges. La blonde finit par entendre du bruit derrière elle, se retourne pour voir son mari près d'elle, l'empêchant de continuer à arpenter l'asphalte. Le bruit de ses talons claquant contre le sol avait quelque chose d'apaisant et elle se sent presque malade à se trouver immobile devant lui. Cami baisse les yeux. Elle est incapable de le regarder, de sentir son regard la parcourir. Que verrait-elle dedans ? Du chagrin, de l'amour, du dégoût ? C'est tellement étrange de se dire qu'ils sont mari et femme quand dans cette ruelle, ce sont deux inconnus qui se tiennent l'un en face de l'autre. Tout au fond d'elle, Cami peut sentir l'amour qu'elle a pour cet homme bouillonner jusqu'à la surface. Elle aimerait l'embrasser, lui dire qu'elle a pensé à lui tous les jours - c'est vrai. Mais ça n'excuse en rien son comportement monstrueux. Celui qu'elle ne se pardonnera jamais et que lui non plus ne pourra pas excuser. Elle sursaute presque quand elle entend sa voix et lève la tête, surprise de le voir retirer sa veste et de la lui tendre. Cami hésite à l'attraper avant de réaliser que son corps frissonne de froid. C'est l'hiver et les bouts de tissu qu'elle porte ne couvre pas un tiers de sa personne. Ce n'est pas le moment de tomber malade. « Merci, » murmure-t-elle avant de passer la veste tout en baissant de nouveau la tête. Elle inspire légèrement, c'est exactement le parfum de son mari. Celui qui s'est effacé peu à peu de sa mémoire mais qui aujourd'hui lui revient comme une claque en pleine figure. Le ton claquant de Luke la sort de nouveau de ses pensées et Cami ferme les yeux. Ca y est, c'est le moment qu'elle redoutait tant, celui auquel elle ne peut pas échapper. Il veut des explications et entendre sa voix se briser sur les mots est un coup dur pour la jeune femme. Cami lève la tête vers le bâtiment, son bar, son bébé. Comment expliquer cela ? Elle sent les larmes lui monter aux yeux. « Luke... S'il te plait, » Elle ne sait pour quoi elle supplie. S'il te plait, comprend ? S'il te plait ne m'en veux pas ? S'il te plait oublie-moi ? Cami passe de nouveau ses mains dans ses cheveux. Il doit avoir une telle d'image d'elle - l'idée qu'il remette en cause son amour pour lui, toutes leurs années de bonheur lui donne envie de vomir, la force à prendre la parole. « Je te jure, ce n'est pas... » Elle s'arrête net et recommence à faire les cent pas. Commencer la discussion par 'ce n'est pas ce que tu crois' est la meilleure façon de la pousser droit dans le mur. Cami soupire, tente de trouver les mots. « Tout ce que je t'ai écrit dans cette lettre, c'était vrai Luke je te le jure. J'étais malade. Le cancer allait me tuer à petit feu et je voulais pas que tu vois ça. Je voulais pas... » Elle ne voulait pas qu'il s'inquiète pour elle quitte à délaisser leur fille mais Cami ne le dit pas. N'ose même pas amener Wendy dans la conversation. « Je suis rentrée dans une clinique spécialisée et j'ai accepté le traitement. Pas parce que je voulais guérir mais parce que je pensais que ça me tuerait plus vite, que je ne souffrirai pas trop. Tous les médecins pensaient que j'étais en phase terminale mais... je sais pas Luke. J'ai survécu. Je suis rentrée en rémission. Ca m'a pris un an. D'un coup j'étais guérie et quoi ? Je rentrais après t'avoir abandonné ? Je te disais que tout allait mieux ? Et si j'étais retombée malade ? Le cancer est toujours là. On aurait vécu avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête et on aurait été malheureux. Je voulais revenir, crois-moi je le voulais. Mais je pensais que ce serait mieux pour toi si tu me croyais morte. C'est la décision la plus difficile que j'ai jamais prise. Je suis désolée crois-moi, » ajoute-t-elle la voix brisée, les joues striées de larmes qu'elle ne peut pas contenir.

Cami ne veut pas pleurer, aimerait pouvoir rester forte et sûre des choix qu'elle a faits. Ces choix, elle les a faits pour sa famille. Ca n'a pas été facile mais elle savait qu'ils seraient mieux sans elle. Luke et Wendy. Les personnes les plus importantes à ses yeux dans ce bas monde. Son mari et sa fille. Ils n'auraient pas été heureux avec Cami. Une Cami malade, affaiblie par le cancer. Même aujourd'hui, en étant en bonne santé, elle sait que le cancer est toujours là, tapi dans l'ombre et que du jour au lendemain, elle pourrait se retrouver dans un lit d'hôpital, mourante et affaiblie, le fantôme de ce qu'elle a un jour été mais loin de ressembler à un être humain. Alors oui, elle pense chacun des mots qu'elle dit à Luke. Elle est partie pour leur bien, restée éloignée de lui et de leur fille en espérant qu'ils allaient refaire leurs vies, être heureux. Et elle aussi a recommencé, il n'y avait rien d'autre à faire. Elle voudrait que Luke comprenne mais ça semble déjà trop demandé pour lui qui vient tout juste de la retrouver - de la pire façon qui soit. Ce serait juste plus simple si elle ne pleurait pas - si elle pouvait avoir l'air froide et assurée. Une coupure nette qui pousserait sans doute Luke à la détester mais Cami a depuis longtemps appris à ne pas mettre ses envies sur le devant de la scène. A être honnête, elle avoue rêver un court instant d'être pardonné, de pouvoir retomber dans les bras de son mari, d'avoir la chance de connaître sa fille et de l'élever. Le problème reste toujours le même : cancer encore et toujours. Les années passent mais rien ne change, Cami ne peut être mère sans un jour s'imaginer briser sa fille - et son mari aussi. Alors, la blonde essaie de ravaler ses larmes et de s'en tenir à ses convictions jusqu'à ce que la tempête passe. Mais les mots de son mari ne sont pas facile à entendre. Le voir s'énerver sous yeux fait couler plus de larmes sur ses joues gelées. Elle baisse de nouveau les yeux, l'écoute s'insurger. Ses mots sont comme des lames contre sa peau et elle veut protester mais les lettres se coincent dans sa gorge. Cami est toujours persuadée d'avoir pris la bonne décision mais elle ne peut qu'entendre la vérité dans les mots de Luke. Après tout, elle est bien partie de chez elle la nuit, comme une voleuse. Mais elle savait déjà à l'époque que son mari n'aurait pas compris comment une vie sans elle - quand ils s'aimaient plus que tout au monde - aurait été mieux qu'une vie avec elle, mourante. Et c'est tellement facile de fermer les yeux, d'écouter ses paroles et d'y croire. De se dire qu'au fond, Cami a eu tort, qu'elle aurait dû rester mais Luke n'était pas là quand sa mère est morte, n'a pas vu l'horreur de sa disparition. C'est quelque chose que personne ne devrait avoir à supporter - surtout pas Wendy. « Je t'interdis de dire ça. Abandonner ma fille, ça a été encore plus dur que te laisser toi. J'ai pensé à elle chaque jour et il n'y a rien au monde que je ne désire plus que la voir, pouvoir la serrer dans mes bras. » Cami passe ses doigts contre sa peau pour essuyer les larmes contre ses joues. « Tu peux dire et penser tout ce que tu veux de moi Luke. Je comprends que tu sois en colère mais dans chacune des décisions que j'ai prises, c'était Wendy que j'avais en tête. » Le nombre de fois où Cami est passée devant un magasin de jouets, de vêtements avec l'envie irrésistible de rentrer dedans et d'acheter quelque chose en pensant à sa petite Wendy. Elle n'a aucune idée d'à quoi elle ressemble, comment elle est aujourd'hui et rien ne lui fait plus mal que cela. « Je ne voulais pas qu'elle soit moi. J'ai grandi avec le souvenir de ma mère malade puis morte, étendue dans un lit d'hôpital. Les cauchemars et la peur, rien de ce que mon père faisait ne m'aider Luke. Les crises d'angoisses et ce froid paralysant et l'idée même que ce soit... » Cami s'étouffe sur ce mot, à l'idée de voir sa fille malade. « Héréditaire. » La jeune femme inspire profondément, se sentant à bout de souffle. « Je ne voulais pas qu'elle connaisse ça. J'ai peut-être été égoïste envers toi mais pas envers Wendy. » Et c'est vrai, peut-être qu'au fond Cami ne s'est pas assez battue pour Luke. Peut-être qu'elle aurait dû l'aimer plus, cet homme qui représente toujours tout pour elle. Il a été volé d'un futur radieux et c'est elle qui est à blâmer. Au fond, tout recommencer à zéro était sans doute plus facile que faire face à son passé. Ca ne change rien au fait que Wendy a toujours été son inquiétude première. « J'espérais que tu refasses ta vie. Ca me tuait de le penser mais j'espérais que tu lui trouves une mère meilleure que moi. Une qui n'allait pas mourir et la marquer à vie. J'espérais que tu m'oublies et que tu sois heureux. » Cami relève la tête, dévore son mari du regard, ressent toujours cette affection pour lui, tout cet amour. « Je l'espère toujours. Je t'aime et je n'arrêterai jamais de t'aimer mais parfois l'amour ne suffit pas. On n'était peut-être pas fait pour avoir une fin heureuse. » conclut-elle d'une voix défaitiste.

Cami ne réalise pas à quel point Luke et elle se sont rapprochés. Comme deux aimants qui gravitent autour de l'autre, incapable de rester trop éloignés. Comme si leurs corps se rappelaient de la danse qu'ils avaient l'habitude de faire ensemble. Ca n'empêche pas que la jeune femme est surprise quand une de ses mains se pose sur son visage et qu'il l'embrasse comme s'il n'y avait pas de lendemain. C'est sans doute le cas. Les yeux de Cami papillonnent et avant même qu'elle n'analyse la situation, tout son corps va se coller contre celui de son mari. Le baiser est passionné et Cami embrasse son mari avec autant d'ardeur. Elle n'a même pas à réfléchir ou à hésiter au fond, elle l'aime toujours - plus que sa propre vie. Et si elle peut avoir encore un baiser, une dernière fois avec lui, elle la prendrait. Elle se sent de nouveau sa femme dans ses bras, laisse ses lèvres toucher les siennes comme elles le faisaient à l'époque. Et quand le baiser se termine, la laissant le souffle court, la poitrine se soulevant brutalement à chaque inspiration et expiration, elle a envie de l'embrasser encore et encore jusqu'à mourir dans ses bras. Mais parce qu'elle l'aime à ce point, elle ne le fait pas. Cami n'est pas dupe. Leurs retrouvailles ne changeront rien aux choix qu'elle a faits, aux erreurs que Luke pense qu'elle a commises. Ils ne vont pas soudainement redevenir mari et femme, sa maladie ne va pas disparaître d'un coup et juste pour cela, Cami ne va pas vouloir rentrer auprès de sa famille. Ca va peut-être la briser, briser Luke mais elle a trop sacrifié dans le passé pour revenir sur ses décisions, pour se sentir faible et flancher. Cami ne veut pas croire que Luke a été malheureux pendant trois ans, que Wendy ne se porte pas mieux sans imaginer sa mère mourante. C'est peut-être égoïste ou brutal à dire mais elle a une nouvelle famille ici. Une nouvelle famille qui pourrait la voir mourir. Luke et Wendy... Les années passent et elle ne veut toujours pas de ça pour eux. Mais lui - son incroyable et têtu mari - ne voit pas ça de cette façon-là. Elle le sent secouer la tête contre son front. Elle regrette sa chaleur quand il s'éloigne mais ne cherche pas à le suivre - elle ne veut pas redevenir accro pour mieux le perdre encore et encore. Elle écoute chacun de ses mots, sent le chagrin tordre son coeur alors qu'elle sait qu'elle ne lui donnera pas ce qu'il veut entendre. Sa question fait de nouveau raisonner le doute en elle. Cami n'a jamais pensé à ce qu'ils feraient s'ils devaient se retrouver. La prochaine étape semble évidente pourtant. C'est juste difficile d'y penser, de prononcer les mots. Le regard de la jeune femme se pose sur l'extérieur du bar. Quand Luke partira, elle sera brisée et si elle a été douée pour dissimiler ses secrets à ses amis, elle ne pourra plus. Elle aura besoin d'eux. Elle espère juste qu'ils seront là quand ils connaîtront toute la vérité. Cami inspire brutalement, cherchant ce qui lui reste de courage. Cette fois, c'est elle qui se rapproche, qui pose sa main sur sa joue. Ses doigts glissent contre sa joue, une tendre caresse, un adieu pour elle. « Le destin nous a réunis Luke mais il nous a aussi séparés. On a eu des années merveilleuses ensemble et je vais les chérir pour autant d'années qu'il me reste à vivre. Mais toi et moi, ça n'aurait pas duré toutes nos vies. » Elle ferme les yeux et une larme glisse sur sa joue alors qu'elle pense à ses prochains mots. Une autre inspiration. « Et crois-moi, pour Wendy... Je n'ai pas été sa mère. Je ne l'ai pas bercée le soir, coiffée ses cheveux et été là pour sa première rentrée. Mais je suis une mère pour elle quand je te dis que quelques années, ce n'est jamais assez. Ma mère me manque tous les jours et oui je ne regrette aucun moment avec elle mais à chaque fois que j'y pense, il y a ce goût amer. Pourquoi le monde me l'a pris quand elle était une femme si gentille. J'avais besoin d'elle. J'aurais toujours besoin d'elle aujourd'hui. Tout ce que je vois, c'est qu'elle est partie trop tôt. La douleur ne s'en va jamais. Alors non, je ne veux pas de quelques années pour Wendy non plus. Ne la laisse pas connaître ce sentiment là s'il te plait. » Cami finit par s'éloigner à son tour, essuie sa joue humide avant de regarder Luke droit dans les yeux. « On devrait divorcer. » Les mots lui arrachent la gorge, c'est comme avaler du poison et juste l'idée de ne plus être mariée à Luke... Elle a toujours gardé son alliance, la sortait les soirs où elle avait besoin de se rappeler des moments de bonheur. S'ils divorcent, ce lien sera rompu. Ca ne voudra plus rien dire. Mais ils ne peuvent pas continuer comme ça. « Je ne suis plus ta femme Luke. Je t'ai abandonné. A choisir, je le referais encore. Je suis celle qui a un bar, qui danse sur les comptoirs et qui parfois rentre avec d'autres hommes. Tu ne me connais plus et je ne suis pas sûre que tu m'aimeras aujourd'hui. Je comprends si tu veux me détester. Je le ferai à ta place. C'est pour ça que le divorce... » Cami hausse les épaules, se sentant tellement fragile à cet instant. Il n'y a plus rien à dire au fond. Si elle ne se pardonne pas, comment le pourra-t-il ?

Cami se rappelle encore aujourd'hui de la première fois où elle a vu Luke. Au moment même où leurs regards se sont croisés, elle s'est sentie connectée avec lui. En parfaite symbiose peut-être. Souvent, elle le regardait quand il était occupé et qu'il ne pouvait pas la voir. Dans ces moments là, elle avait l'impression de ne faire plus qu'un avec lui. C'est pour cela que ça fait d'autant plus mal de revoir son mari aujourd'hui et de voir à quel point ils sont devenus deux personnes totalement différentes. Cami le ressent dans chaque mot de leur conversation : comment ils ne se comprennent pas, comment ils ont des visions différentes du monde qui les entoure aujourd'hui. C'est triste, tellement que ça lui brise un peu plus le coeur - lui qui est déjà en morceaux. Cami se retrouve à souhaiter n'avoir jamais revu Luke. Toute cette peine, savoir que sa fille n'est pas loin d'elle et qu'elle ne pourra jamais être sa mère, ces retrouvailles pour ensuite mieux se séparer (le mot 'divorce' lui brûle toujours la langue) ; tout ça n'en vaut pas la peine. Ca aurait été mieux pour eux s'ils ne s'étaient jamais revus, s'il avait continué à croire que Cami était morte. La blonde se dit même que la mort aurait été plus douce que cette rencontre douloureuse qui l'a fait agoniser de l'intérieur. La jeune femme ressent le besoin sauvage de s'enfuir d'ici, de tourner le dos à tout ce drame et d'aller recommencer ailleurs. Elle ne veut pas blesser Luke et elle a l'impression qu'elle l'écorche vif à chaque mot qu'elle prononce. Elle se déteste pour cela et se demande ce qu'il fait encore ici. A sa place, elle serait déjà partie loin de ce cauchemar. Reste-t-il par amour pour elle ? L'aime-t-il encore autant que cela ? Cami l'aime à en crever alors pourquoi pas mais ce serait tellement plus simple s'il la détestait plutôt que de le voir s'accrocher à un passé et à un rêve d'avenir dans lesquels Cami a perdu foi depuis bien longtemps. Pars, l'implore-t-elle silencieusement. Qu'il la déteste, qu'il la haïsse mais qu'il s'en aille. Plus il s'attarde plus Cami retombe amoureuse de lui. Son regard, son visage, sa façon de se tenir, le son de sa voix. Tous les petits détails font fléchir son coeur, lui donnent envie de se jeter à son cou et s'excuser pour tout ce qu'elle a fait. C'est dur de résister mais la peur qui s'est enracinée dans chaque cellule de son corps est assez solide pour que Cami s'y accroche et se rappelle qu'elle a fait la bonne décision. Et quand Luke reprend la parole, c'est encore plus douloureux. Toujours la même histoire. Des mots tranchants qui lui donnent envie de pleurer ou de crier, de protester. Mais Cami est une pacifiste. Elle a fait un trait sur la colère, la rage. Alors elle baisse la tête et elle encaisse, se mordant la lèvre à sang pour retenir ses larmes. Une douleur physique pour oublier son âme qui se déchire à écouter son mari. Il a sans doute raison, Cami a pris toutes les décisions. Mais y a-t-il vraiment une décision à prendre quand l'opinion est déjà forgé ? Ca n'aurait rien changé si elle avait annoncé à Luke qu'elle était malade, qu'elle voulait partir seule. Il n'aurait pas voulu. Ca aurait été des heures d'arguments, de disputes avant que Cami ne prenne la même décision. S'enfuir dans la nuit comme une voleuse. Le goût aurait été juste plus amer voilà tout. Et à quoi ça servirait de demander à Luke des nouvelles ? De faire la discussion, de s'intéresser au beau temps et à la pluie pour cacher l'éléphant dans la pièce ? Au fond, ça ne ferait que la blesser qu'elle. Voir le visage de sa fille, apprendre le premier mot qu'elle a prononcé, le dernier dessin animé qu'elle préfère, l'aliment qu'elle a décidé ne plus aimer. Ca la rendrait tellement réelle et inaccessible que ça briserait son coeur de mère. Quand elle était jeune, elle se disait que rien ne serait pire qu'une déception amoureuse. Puis elle est devenue mère. Et les enfants volent tout, s'approprient votre âme entière. Wendy est déjà trop loin de Cami pour qu'elle veuille s'en rapprocher pour mieux la perdre. Elle relève la tête quand Luke lui demande si c'est bien ce qu'elle désire. Non. La réponse est tellement simple mais pour son bien - pour le leur - elle doit mentir. Elle regarde Luke droit dans les yeux, ouvre la bouche pour prononcer quelques mots qui vont sceller leurs avenirs. Mais aucun son ne sort. Elle regarde Luke encore et encore et essaie de parler... Rien. Cami ne veut pas divorcer, elle n'a jamais voulu perdre son mari. Elle voulait tellement de choses et tous ces rêves, elle s'en rappelle encore. Un par un. Des rêves amers et douloureux. Elle baisse de nouveau les yeux. « Non, ce n'est pas ce que je veux. » avoue-t-elle, les larmes coulant de nouveau librement alors qu'elle laisse les espoirs du passé l'envahir. « Je n'ai jamais rien voulu de tout ça. Je voulais... tellement de choses. » Elle avale un sanglot alors qu'elle regarde de nouveau Luke. Son précieux, magnifique mari qu'elle aime plus que tout. Nouveau flot de larmes. « Je voulais passer toute ma vie avec toi. Je voulais me réveiller tous les matins dans tes bras. Je voulais voir ma fille grandir. Je voulais que mon nom soit le premier mot qu'elle prononce. Je voulais te donner d'autres enfants. » Rêve impossible alors que le traitement contre le cancer a détruit toutes ses ovules comme il a détruit les métastases. Aucune pitié. « Je ne voulais pas tomber malade. Je ne voulais pas vivre avec un cancer pour le restant de mes jours. Je ne voulais pas partir. Je ne voulais pas laisser Wendy. Je ne voulais pas te faire souffrir. » Elle passe ses mains dans ses cheveux. Y a-t-il une sortie pour échapper à ce cercle vicieux dont elle et Luke sont prisonniers. « Et je ne voulais pas que tu me voies malade. J'ai peut-être pris la décision pour toi mais je reste persuadée que c'était la bonne. Pour toi et pour moi. » Elle repense à ces mois, allongée dans un lit d'hôpital. « T'avoir près de moi à me tenir la main pendant que le cancer et l'interleukine me tuaient à petit feu, ça ne m'aurait pas aidée. Je ne voulais pas que tu me vois... » Etre incapable de se nourrir elle-même ou avoir la gorge sèche comme du papier de verre, à supplier les infirmiers de lui injecter une dose mortelle de morphine. « Je ne veux pas le divorce parce que je t'aime. Mais je ne peux pas rentrer parce que j'ai vu ce que ça faisait d'être sur ce lit d'hôpital. Je sais que je peux y retourner et si tu veux des détails sur à quel point j'étais mourante, je te les donnerai. Tout pour que tu comprennes que malgré tout mon amour... Je ne rentrerai pas... »

Après son long monologue, Cami se sent vidée de l'intérieur, comme si avec chaque mot, elle avait vomi une partie de son âme et maintenant, il ne reste plus rien. Tout a été dit et il n'y a rien à rajouter. Elle se trouve dans une impasse. Elle aime toujours Luke, elle veut retrouver sa fille mais le cancer la terrifie, la gèle sur place et l'empêche de faire demi-tour. Même si Luke n'est pas d'accord, même s'il veut se battre pour eux, Cami n'en a pas la force. Elle s'est déjà assez battue contre sa maladie, elle n'a plus le courage en elle de mener un autre combat de plein front. Et il y a cette partie rationnelle en elle - qui se mélange à des tonnes de culpabilité - qui lui dit que même si elle voulait rentrer, ça se terminerait par un désastre. Cami ne peut pas juste passer le pas de la porte de la maison de Luke, s'y installer comme si c'était chez elle, soudainement devenir une mère (une des personnes qui compte le plus dans la vie d'un enfant) pour Wendy - comme si elle la connaissait et l'avait évelée - tout en redevenant la femme de Luke. Elle se demande si c'est ce qu'il attend. Que demain, elle se réveille dans son lit, l'embrasse avant de se lever et parte pour sa journée avant de rentrer le soir, le premier arrivé préparant le dîner. Comme avant. Comme dans leur ancienne vie qui n'est plus qu'un souvenir. C'est surréaliste - ça n'arrive que dans des contes de fées ce genre de chose. Et puis, pense Cami, c'est dur à dire pour elle, ce serait encore plus dur pour Luke de l'entendre mais Cami a une vie ici à Memphis. Elle a le bar, elle a Camryn, Milan, Astrée. Elle se plait à se vivre avec ses deux meilleures amies - elle sait que ça ne durera pas éternellement mais quand leur trio de choc est ensemble, elle a l'impression de goûter à l'infini. Elle sait que rien ne pourrait les séparer. Est-ce que Luke supporterait de les voir débarquer tous les trois quatre matins ? Est-ce qu'il supporterait de voir la relation presque fusionnelle entre elle et Milan ? Ce n'est peut-être que platonique sentimentalement mais ils ont partagé le même lit à plusieurs reprises et Cami se rappelle du côté jaloux de Luke. Et en parlant de jalousie, accepterait-il qu'elle continue son métier ? A danser sur le comptoir, les hanches lascives et les décolletés plongeant ? Parce que c'est sa vie à elle maintenant, une vie imparfaite (l'absence de Luke et Wendy tout simplement) mais une vie qui la rend heureuse, dans laquelle elle se sent bien. Et combiner les deux... Ca semble impossible. C'était sans doute le but que Cami recherchait quand elle a recommencé à zéro, fait un virage à trois cent soixante degrés en abandonnant son envie d'enseigner pour devenir une reine de la nuit. Au fond, elle est peut-être trop égoïste mais Cami ne veut pas abandonner sa nouvelle vie, ses amis, le bar. Camilan&Astryn. Quatre prénoms, une façon de célébrer leur amitié. Et elle sait que Luke n'a pas vraiment sa place dans cette vie là. Ca la tue mais c'est la réalité. Elle observe une nouvelle fois son mari, ne sachant que dire d'autre. Elle ne veut pas divorcer, lui non plus. Il semble vouloir la récupérer mais elle est comme de la fumée insaisisable. Et Cami l'a compris, même si elle se laissait revenir vers Luke, les choses finiraient par se briser. C'est peut-être ça au fond qu'elle devrait faire. S'accorder quelques derniers mois de pêchés avec Luke, se perdre dans ses bras avant qu'il n'ouvre les yeux et qu'il se rende compte que Cami n'est pas ce qu'elle veut. Mais et Wendy dans tout ça ? Non c'est sans avenir, encore une autre solution avortée. Ils sont sans doute condamnés à rester comme cela dans cette ruelle à s'observer sans pouvoir s'atteindre. Elle sent pourtant que Luke n'est pas prêt à abandonner. Ses paroles la font rêver. Et si le cancer ne revenait jamais ? Prendre le risque serait tellement tentant. Ou croire qu'elle pourrait être une miraculée de la vie, une fois de plus. Elle ouvre la bouche, la referme, se mordille la lèvre, les yeux encore et encore humides. A-t-elle encore des larmes à verser ? Elle baisse la tête, honteuse de ce qu'elle va avouer. Les mots mettent du temps à venir, à se former et son silence passe sans doute pour une réponse puisque Luke déclare vouloir rentrer. Elle hoche la tête, pas certaine de devoir quoi faire. Le retenir. Le laisser partir. Ne plus jamais le revoir. Continuer à vivre en sachant qu'il n'est pas loin d'elle. Il lui propose de la raccompagner, ne finit pas sa phrase mais elle sait ce qu'elle sous-entend, sait qu'intérieurement il pointe le bar d'un geste dédaigneux. Toujours en se mordillant la lèvre, elle finit par lui avouer : « J'aime ma nouvelle vie, » déclare-t-elle sans oser le regarder. « Le bar m'appartient et avec mes amies, celles qui dansaient sur le bar... C'était notre idée de faire ça, pour amuser les clients. C'est... Ce n'est pas parfait, ça ne l'est pas sans toi ou Wendy mais j'ai fait de mon mieux pour me reconstruire et... Jusqu'à maintenant, j'étais heureuse. » Et Cami n'arrive pas à imaginer à quel point elle doit l'écoeurer, elle et son égoïsme mais elle reste honnête, incapable de lui mentir d'avantage après ces trois ans de secret. « Même si j'acceptais de revenir, même si je voulais me faire pardonner, je ne voudrais pas abandonner le bar, mes amis. Ils sont devenus ma famille. Et entre toi et Wendy et eux... Je ne peux pas choisir. » Ca semble affreux à dire mais c'est la vérité. Elle ne veut pas retrouver sa fille, son mari pour perdre ceux qu'elle aime aujourd'hui. « Je suis vraiment désolée Luke... Je sais que c'est moi qui suis partie et que tu souffres mais j'ai refait ma vie et si... Si je te laissais choisir tout ce que tu désires, si tu voulais que je revienne, tu crois que tu m'accepterais moi ? Cette nouvelle vie ? » Cami lève une énième fois la tête, le regarde droit dans les yeux et attend sa réponse. Etant persuadée qu'il dira non.