story of my life Il était tard mais j'avais perdu la notion du temps. Après les cours, je m'étais directement rendu chez un ami et membre du groupe que j'avais fondé. Nous étions juste une bande de potes voulant faire un peu de musique, on se produisait dans des petites salles pouvant contenir à tout casser une cinquantaine de personnes ou dans des bars aux alentours de Memphis. C'était notre truc. Pour certains il s'agissait simplement d'un passe temps, pour moi c'était un peu plus que ça, je voulais en faire mon métier. Comme Jeff Buckley, Elvis ou encore Travis Wammack, la musique était ma passion. Compositeur, chanteur, musicien, j'étais confiant quant à mes chances de devenir un professionnel, mais sur ma route, un obstacle de taille... Dans l'ombre, il attendait mon retour comme à chaque fois que je dépassais le couvre feu. Lorsque j'allumais la lumière, il était installé dans son fauteuil, dans sa main une lettre, dans l'autre un verre de whisky. Et comme à mon habitude, je lui lançais une petite raillerie.
"Oh pas de ceinture aujourd'hui?!" Je savais qu'un jour mon arrogance me tuerait, mais c'était ma seule arme de défense, derrière, j'y cachais ma peur. J'étais effrayé à chaque fois que je me tenais face à lui, les battements de mon coeur déchiraient ma poitrine, mais je ne voulais pas qu'il le voit, je ne voulais pas lui faire se plaisir, alors je continuais à lui tenir tête, ne baissant jamais les yeux. C'était sans aucun doute du suicide, mais quoi que je fasse, je savais qu'il n'arrêterait pas de me martyriser. Depuis que mon frère avait quitté la maison, il passait ses nerfs sur moi pour un rien. Ce soir-là, c'était au sujet de mes notes et de ce qui les rendait si mauvaises.
"Tu tiens vraiment à faire honte à cette famille, n'est-ce pas?!" Je lâchais un petit rire nerveux alors qu'il posait son verre et la lettre sur la petite table à côté de lui, avant de se lever.
"Quelle famille?!" S'approchant de moi, il fronça les sourcils. Ma seule famille, c'était mon frère. Mon père était juste l'homme ambitieux et autoritaire qui me donnait un toit, ma mère un triste fantôme qui me nourrissait. Nous n'avions jamais été cette famille soudée et aimante que mon paternel tenait tant à ce que l'on soit aux yeux des autres.
"Ne t'adresse pas à moi sur ce ton!" La tête haute, je ne me laissais pas impressionner, du moins, en apparence. Je déglutis discrètement.
"Sinon quoi?" Mal me pris de le provoquer. Il attrapa la guitare dans ma main et sans que j'ai le temps de comprendre ce qui arrivait, elle était en pièces sur le sol. Sous le choc, il me fallut un peu de temps pour réagir, mais finalement je tentais de lui sauter au cou dans un pur acte de folie. Son poing s'écrasa sur mon visage par deux fois, avant que mon dos se retrouve plaquer contre l'un des murs du salon. Il serrait ma gorge d'une force telle que j'avais du mal à respirer. Sa main resta ainsi quelques secondes tandis que je me débattais pour m'en défaire. Et quand mes lèvres commencèrent à devenir bleues, il lâcha prise, me laissant reprendre mon souffle. Ma mère se tenait à quelques mètres de nous, mais comme à son habitude, elle était restée silencieuse. Mon père la rejoignit et comme si de rien était, ils montèrent dans leur chambre, me laissant avec ce qu'il restait de mon instrument. Les larmes se mirent à me monter aux yeux. De colère ou de tristesse? Peut-être un peu des deux. Je me pinçais les lèvres pour retenir les sanglots. Je me sentais humilié, une nouvelle fois je n'avais pas réussi à prendre le dessus. Me trouvant pathétique ainsi, je séchais rapidement mes yeux et mes joues et prenais la porte, ne manquant pas de la faire claquer derrière moi. Je ne pouvais pas rester dans cette maison cette nuit-là. À pied, je parcourus quelques kilomètres avant de me retrouver devant un petit bâtiment que je commençais à bien connaître. J'en montais les escaliers et au beau milieu de la nuit, réveillais l'un de ses occupants. En ouvrant la porte, mon frère fit face à mon oeil tuméfié et ma joue écorchée, légèrement choqué, mais pas vraiment surpris de me voir.
"Qu'est-ce qui t'es arrivé?" La gorge serrée mais un sourire aux lèvres, je lui inventais un nouveau mensonge.
"J'ai eu une petite altercation avec un gars à une fête... Ca te dérange si je reste chez toi ce soir?" Ce n'était pas la première fois que je venais sonner chez lui dans un état pareil, il commençait surement à se douter de ce qui se passait réellement. Il y avait des fois où je ne mentais pas, mon père n'était pas le seul avec qui je me battais, mais bien le seul contre lequel je perdais toujours. Si je n'en parlais pas à Roman, c'était surtout pour ne pas l'inquiéter, il en avait déjà assez bavé avec notre père, il n'avait pas à vivre ça encore une fois à travers moi. Mais il y avait aussi un peu de fierté, même si j'avais l'impression d'être un moins que rien dans ce genre de moment, je voulais sauver les apparences. En écoutant mon excuse, il me regarda avec son air *arrête de me raconter des conneries* mais me fit tout de même entrer sans me demander plus d'explications. Malgré nos dix ans d'écart et nos nombreuse différences, il me comprenait ou alors, il essayait au moins et ce sans jamais me juger...
... Il me connaissait mieux que personne, il savait ce qui était bon ou pas pour moi. J'espérais qu'il le voit ce jour-là aussi. Je lui avais donné rendez-vous dans un bar où je l'avais traîné plus d'une fois pour faire la fête jusqu'au bout de la nuit. Ce lieu regorgeait de bons souvenirs, c'était l'endroit idéal pour faire ce que j'avais à faire. Il arriva avant moi, il était le plus ponctuel de nous deux. Je m'installais avec lui au bar, commandais une bière et il s'adressa à moi avant même que j'ai eu le temps de dire un mot.
"Ça, ça sent le gars qui ne sera pas là à son mariage demain." Je lâchais un petit rire avant de lui adresser un léger sourire.
"Je l'aime, vraiment, je suis fou d'elle. Mais... Ce n'est pas la vie que je veux, pas maintenant. Être ce mari qui embrasse sa femme, va au boulot, mange le délicieux repas concocté avec amour par son épouse en rentrant le soir, s'installe comme une larve sur le canapé et va se coucher pour recommencer le lendemain. Je ne veux pas de ça, je suis trop jeune pour avoir une routine. Et je me rends compte que c'est dégueulasse de penser à ça la veille de son mariage, mais... Je ne peux pas l'épouser." Au fil des mots j'avais repris mon sérieux, me rendant compte que je parlais au gars qui s'est marié et a eu un enfant à vingt ans et qui vivait avec sa femme depuis tout ce temps.
"... Sans vouloir te vexer." Il restait silencieux, pensif, il semblait réfléchir à ce qu'il devait me dire, chose qui me rendit nerveux. J'étais conscient que ce que je faisais était affreux, que j'étais sur le point de briser le coeur d'une femme fantastique, mais en même temps, c'était peut-être mieux pour elle que je ne devienne pas son mari. Elle méritait mieux, je le pensais en toute honnêteté, je ne me cherchais pas des excuses. Et je me doutais bien que mon frère n'accueillerait pas cette nouvelle avec un grand sourire et des félicitations, mais j'espérais qu'il continue de me comprendre, comme il l'avait fait ces vingt dernières années. Je m'attendais à ce qu'il me dise quelque chose, qu'il me fasse un peu la morale, je sais pas...
"Et tu vas faire quoi à la place?" Se contenta-t-il de me demander, ne se prononçant pas sur le sujet, il avait l'air à cours de mots et au final, c'était pas plus mal. Ce que j'avais à lui dire ensuite était suffisamment difficile et je voulais en finir au plus vite.
"C'est la principale raison pour laquelle je t'ai fait venir ici... Je m'engage dans l'armée. Je quitte Memphis pour quelques temps, je ne sais pas quand je reviendrais." Il se pourrait même que je ne revienne pas, mais ça je le gardais pour moi, inutile d'évoquer l'évident. J'observais mon frère, il était choqué et catégoriquement il me lança:
"Non!" Je fus aussi choqué que lui l'avait été suite à mes mots. Je ne m'attendais pas à cette réponse.
"Comment ça non?" Je savais que ce serait une nouvelle difficile à encaisser, bien plus que l'annulation de mon mariage, mais je n'avais pas imaginé à quel point et le mal que je lui ferais en faisant ce choix.
"Tu peux pas faire ça, c'est trop dangereux, imagine que tu reviennes pas...!" Je lâchais un léger soupire, baissant les yeux sur le sol avant de les poser à nouveau sur lui.
"Imagine que tu te fasses shooter en sortant d'ici. Le risque est partout Roman, mais c'est ce que je veux faire. Je veux y aller. Alors, je t'en supplie, ne rend pas ça encore plus dur que ça l'est déjà." Je n'avais pas besoin de son approbation, ce n'était pas ce que je demandais, j'irais qu'il soit d'accord ou non. Mais je ne voulais pas partir en nous sachant en froid, il était bien trop important à mes yeux pour que je permette ça.
"C'est la décision la plus conne que tu aies pu prendre." Me lança-t-il pour réponse et il n'avait surement pas tord. Il était très sérieux quand il disait ça, mais je ne pus m'empêcher de lui sourire. J'aimais qu'à même vingt ans, il continue de me protéger, de veiller sur mon bien-être. Sans qu'il s'y attende, je le pris dans mes bras.
"Je n'ai pas fini de te rendre la vie impossible. Je reviendrais, je te le promets." Sa tête entre mes mains, je le regardais un instant toujours avec ce même sourire aux lèvres avant de le décoiffer d'un geste de la main. On discuta pendant quelques minutes encore avant de nous dire au revoir. L'un des moments les plus durs de ma vie. Et je pris finalement la route, n'ayant aucune idée de quand je prendrais le chemin du retour.
Carter plaisantait encore sur les mésaventures de Jamie, les rires résonnaient dans le Humvee. On était sur le chemin du retour après une mission à quelques centaines de kilomètres du camp de base, c'était la dernière avant que l'on rentre chez nous pour deux mois. À son retour, Carter avait prévu de demander sa copine en mariage, Jamie d'aller voir un match de son fils qui commençait tout juste le baseball, Léo retrouverait sa mère et ses amis, Carl son chien et son bar favoris et Rebecca et moi avions décidé de partir découvrir l'Asie. C'était une fille incroyable, il fallait l'être pour survivre dans cet univers très masculin qu'était l'armée. Elle était d'un courage exemplaire et faisait un travail formidable. L'explosion se joua dans ma tête et me sortit brusquement de mon sommeil pour faire face au corps sans vie de la jeune femme. Trois jours, l'odeur du corps en décomposition couvrait celle des égouts, mais me donnait des nausées. Ils avaient retiré le débris qui s'était logé dans mon appendice, désinfectés ma plaie avant de la recoudre, pour me garder en vie. Chacun notre tour nous avions été emmené hors de cette pièce. Nous avions tous dû écouter les cris de nos amis pendant qu'ils se faisaient torturer. Les séquelles physiques n'étaient pas les plus difficiles à supporter, ces souvenirs l'étaient, ce que j'avais sous les yeux était un cauchemar dont je me réveillerais pas. Je savais que personne ne viendrait pour nous, l'armée ne marchande pas avec l'ennemi et ne risque pas plus de soldats pour des morts, c'est pourtant ce que j'ai fait croire à toute mon unité pendant nos cent trente-sept jours d'enfer. Pour qu'ils gardent espoir. Finalement, mon regard se posa sur Jamie, il dormait depuis deux jours et ça faisait tout autant de temps que personne n'était entré dans cette pièce. Ma gorge était sèche, mais je n'avais pas faim, comment aurais-je pu. Je ne sentais plus mon visage à force qu'ils se soient défoulés dessus et mon torse me donnais l'impression d'avoir été déchiqueté. Je luttais avec mes liens depuis trois jours, ils cèderaient bientôt et mon plan était presque au point, à l'exception que je n'avais aucun idée de ce qui m'attendait de l'autres côté de cette porte. Ils nous bandaient les yeux pour nous faire passer d'une pièce à une autre, c'était des monstres, mais ils n'étaient pas totalement cons. Jamie ouvrait doucement les yeux, en me voyant faire, il y eut ce petit sourire qui apparut sur ses lèvres. Un homme entra enfin après quelques heures, c'était maintenant ou jamais. Ce qu'il restait de mes liens autour de son cou, je serrais jusqu'à ce qu'il tombe. Je prenais son arme et, le bras de Jamie sur mes épaules, je l'aidais à se relever. On traversa quelques couloirs sans vraiment savoir ce qu'on trouverait au bout ou même si c'était la bonne direction. Il était faible, il ne tenait plus debout alors on s'arrêta un instant.
"Il faut que t'y ailles, je vais te ralentir." Je le regardais, choqué par ce qu'il me demandait de faire, mais déterminé je lui répondais.
"Je peux te porter. Je ne te laisserais pas ici!" Il me sourit une nouvelle fois.
"Non, tu ne peux pas. Jay, vas-t-en, libère toi. Je t'en supplie, vis pour nous." La gorge serrée, les larmes me montaient aux yeux. Il avait raison, j'étais trop faible pour nous sortir tous les deux de là, mais c'était dur à admettre et même inacceptable.
"Faites une dernière chose pour moi Lieutenant. Je ne veux pas leur donner cette chance, faites-le. Et dites à ma femme et à mon fils que je veille sur eux." Une pluie de larmes déferlaient sur mes joues tandis qu'il regardait l'arme dans ma main. Il avait pris ce ton formel, ce n'était plus l'ami qui me parlait mais le soldat.
"Je ne peux pas." Des bruits commençaient à se faire entendre dans un couloir voisin, ils s'étaient surement rendu compte de notre absence.
"Ils arrivent. Faites-le Lieutenant! Ne les laissez pas gagner." J'entendais leurs voix se rapprocher, soit je tirais maintenant et fuyais, soit il serait trop tard...
Six mois plus tard, la détonation de l'arme résonnait encore dans ma tête, la chaleur étouffante du désert me donnait encore des sueurs, la douleur physique était devenue psychique. J'avais pris le chemin du retour, je rentrais auprès de ma famille, mon frère. Je l'avais prévenu que cela me prendrait un peu de temps, que j'avais des choses à faire avant. Sur la route, je m'étais arrêté chez chacune des familles de ces amis et soldats que je n'avais pas réussi à sauver. Je ne leur avais pas menti quand je leur avais dit que leur copain, mari, fils, ami, était mort en héros, mais je les avais épargné en leur disant que leur mort avait été rapide et sans souffrances. Des cris, des pleurs, ... À chaque visite, je finissais dans un bar, ne pouvant supporter la solitude et le calme d'une chambre d'hôtel, même si le bruit d'un verre s'écrasant sur le sol me faisait paniquer ou même une porte qui claquait. Je me changeais les idées en scrutant le fond de mon verre de whisky ou le goulot de ma bouteille de bière. J'étais arrivé à Memphis ce soir-là, mais je n'avais pas eu le courage d'aller sonner chez mon frère, alors je m'étais installé au comptoir, j'y étais resté un bon moment avant qu'une charmante rouquine vienne à m'accoster. Elle fit les trois-quarts de la discussion. Cela faisait tellement de temps que je n'avais pas eu une conversation pour ainsi dire "normal" que j'avais du mal à savoir quoi dire. Mais au final, je crois qu'on se fichait bien de connaître l'autre, c'était purement par principe, pour ne pas nous sauter dessus comme deux animaux sauvages. On avait tous les deux besoin de nous vider l'esprit et pas avec une longue discussion déprimante, alors comme deux adultes consentants, tout ça a fini dans sa voiture. Mais quand elle retira mon t-shirt, elle se figea sur place. L'espace d'un instant, pris dans l'action du moment, j'avais oublié que plus jamais je ne me déferais des derniers évènements. Sous son regard choqué, je cherchais à remettre mon t-shirt, mal à l'aise. Elle m'en empêcha. Sa main parcourut chacune de mes cicatrices avant de m'attirer vers elle. Je ne me doutais pas un seul instant qu'il soit possible que je connaisse cette fille...