Le mariage était quelque chose auquel j'avais toujours aspiré, que j'avais toujours espéré accomplir. Mais je n'avais pas trouvé la bonne personne, pendant longtemps. Et maintenant que je pensais l'avoir trouvé - que j'en étais certaine, même -, le hasard voulait que je sois l'organisatrice de son propre mariage, avec une autre. Depuis cette découverte, j'avais tendance à penser que le destin se jouait de moi, le karma ? Mais qu'avais-je bien pu faire ? Peut-être avais-je fondé trop d'espoirs, et c'était là ma punition. Le comble pour une organisatrice de mariage, d'organiser le mariage de l'homme qu'elle aime, avec une autre. Je n'arrivais toujours pas à parler à ce couple depuis notre première entrevue plus qu'étrange et, devais-je dire, catastrophique. C'était bien au-dessus de mes forces, et je savais pertinemment que je devrais renoncer à ce contrat, incapable de lui faire face chaque fois sans lui avouer ma réelle identité. Incapable de le voir en aimer une autre. J'étais égoïste, mais tout cela était bien au-dessus de ce que je pouvais supporter. Peut-être n'étais-je pas aussi forte que j'en avais l'air, peut-être que je n'aimais pas tant la vie pour abandonner si vite. Mais parfois, il fallait savoir être raisonnable, et laisser l'homme qu'on aimait être heureux, même si cela voulait dire que nous aurions à être malheureux nous-même. Je n'avais jamais souhaité que son bonheur, au fond. J'avais simplement espéré que j'en ferais partie. Trop grand espoir. Pour me sortir la tête de tout ce bordel qui prenait place dans mon esprit, je me jetais à corps perdu dans mon travail, prenant en charge plus de couples que je n'avais de temps, espérant me noyer sous les tâches à accomplir. Me noyer dans le bonheur des autres, y contribuer, pour me consoler. Aujourd'hui encore j'avais un rendez-vous au domicile d'un client et, de ce que je savais, les parents étaient derrière toute l'organisation jusque là, ce que je n'aimais guère. Les couples qui laissaient leurs parents prendre leur mariage trop sérieusement comme ça, finissaient souvent par tout annuler, pour s'enfuir se marier à Vegas, ou bien, viraient non pas les organisateurs, mais les parents du mariage. En quelques mois d'activité, j'avais vu ce genre de choses une dizaine de fois. C'était la même chose à chaque fois, et bien que j'étais quelqu'un d'optimiste et contre les préjugés, lorsqu'il s'agissait de mariage, bien souvent, tout cela s'avérait vrai un jour ou l'autre. La demeure familiale en disait long sur les revenus et sur le type de personnes avec qui j'aurais à faire affaire. Je souris à l'idée que la rémunération suivrait sans doute, pour une fois, je m'estimais heureuse d'avoir décroché ce gros contrat. Je frappai à la porte, et on vint m'ouvrir instantanément, une gouvernante, bien entendu. Jusque maintenant - et je détestais avoir raison - tout rentrait dans le cliché, je ne donnais pas cher de la durée de ce mariage aux premières apparences parfaites. "Je suis Lee-Ann Weissmüller, l'organisatrice de mariage, je suis attendue, je pense." Elle me fit entrer en me détaillant de la tête aux pieds, avant de me donner un sourire presque navré, qu'est-ce que cela voulait dire ? Elle me conduisit dans un salon immense et décoré avec goût, du moins, le goût de ses familles fières d'être riches et surtout, fières de le montrer. Je posai mon sac à main sur une chaise, attendant comme la gouvernante me l'avait demandée, elle partit, mon manteau à la main. Cela me laissa le temps de détailler un peu plus la pièce, tout était trop parfait, trop propre, trop brillant, trop droit. J'aimais ma vie bien rangée, mais ici, cette perfection faisait froid dans le dos. Parce que justement, tout était froid. La gouvernante revint quelques instants plus tard, et le premier visage qui m'apparût me frappa.