story of my life « Maman ? Maman ? Maman réveille toi s'il te plaît, tu dois m'apprendre la dictée aujourd'hui, t'as promis.. » Un petit garçon agenouillé à côté de sa maman, étendue dans le lit, sur le ventre. Ses bras sont bleus, des seringues traînent au sol. Elle est pâle, elle ne bouge plus. Il a peur, essaye de la bouger, de la réveiller, sa maman, la seule personne qu'il connaisse.
« Maman s'il te plaît, arrête c'est pas drôle.. J'ai peur tout seul maman.. » Les larmes coulent sur les joues de ce petit garçon de dix ans, qui vient se lover contre le corps froid et immobile de sa mère. Ce corps qui autrefois lui donnait tant de chaleur, et qui aujourd'hui ne bougera plus jamais. Il renifle, reste toute la nuit collé contre le cadavre de sa mère, avant de réaliser qu'elle est partie pour toujours, et qu'il est désormais tout seul.
De ses grands yeux verts, il scrute la maison qui s'éteint, devenant aussi noire que la nuit qui l'entoure. Alors, doucement, emmitouflé dans de nombreuses couches de tissus qui forment un habit pas trop abîmé, il se faufile par la fenêtre brisée de la cave et vient s'allonger dans un coin de la pièce, un peu plus au chaud et à l'abri qu'à l'extérieur. Cela fait désormais trois ans qu'il vit dans la rue, trois ans qu'il vient dormir dans la cave de cette vieille dame qui lui avait sourit une fois et qui lui avait proposé un petit pain, une nuit de neige, avant de lui dire de rentrer vite chez lui. Il n'avait rien dit, ne lui avait pas parlé de sa vie dans la rue, des nuits dans un carton au cœur d'une ruelle fermée. Pourtant, discrètement il l'avait suivie, avait remarqué cette grande maison, et cette cave à la vitre un peu brisée, qui semblait vide et où elle ne se rendait jamais. Alors il avait cassé un peu plus ce carreau et s'y était faufilé, désormais toutes les nuits durant trois ans.
Un choc violent contre un mur en pierre, le front qui s'écorche légèrement, cette main qui lui flatte les reins, qui lui baisse son pantalon en l'arrachant presque. Il gémit, tremble, se crispe au niveau du mur et tente de se débattre.
« Non.. Non s'il vous plaît ! » Il ne sait pas trop parler, à force de rester dans le silence. Impuissant, les larmes roulent sur ses joues pendant l'homme le viole, impitoyable. Quand enfin son calvaire se termine, il s'écroule dans la rue, à moitié nu et vidé de toutes des forces. Il lui faut du temps pour reprendre ses esprits, pour que la douleur qui lui vrille les reins s'adoucisse, pour que les images et les bruits dans sa tête s'échappent un petit peu. Malgré tout, c'est la même scène qui se répète dans son esprit, toutes les nuits, jusqu'à ce que ça recommence encore. Il a mal, Gabriel, mais il se rend jusqu'au gymnase qui abrite les sdf le temps d'une nuit. Dans quelques jours, il aura dix-huit ans. Il ne compte plus les hommes qui sont passés entre ses fesses pour tirer un coup, avant de déposer un petit billet auprès de lui. La prostitution, il ne sait pas ce que c'est, pourtant il la pratique. Il ne sait même pas se défendre, riposter, lire, écrire ou parler bien. Il ne comprends pas pourquoi ses mains sont tachées de sang, ce que faisait cet homme par terre dans la rue. Un sdf comme lui, qui n'avait pas eut de chance en essayant de violer Gabriel. Il ne sait pas ce qu'il a fait, il a mal au dos, aux mains, à la tête. Une fois arrivé au gymnase, il se précipite dans les douches communes disponibles et reste un petit moment sous l'eau, pour se laver, avant de payer pour faire laver sa tenue miteuse. C'est déjà mieux que rien. Quand il est enfin propre, il repart après avoir mangé la moitié du plateau offert par l'association, puis retourne vagabonder dans les rues.
Dix huit ans. Assit sur un banc du parc de Victoria, le visage barbouillé par la saleté de la rue, les cheveux sales et emmêlés, il soupire. Il a dix-huit ans, mais pourtant ça ne signifie rien pour lui. Ses joues sont écorchées, ses mains bleuies par le froid. Hier, un jeune homme l'a sauvé d'un énième viol. Il était joli, ce garçon tout tatoué qu'il n'avait jamais vu. Ses beaux yeux bleus l'avait captivé un instant, et il n'avait su bafouiller qu'un simple merci avant de s'enfuir. Maintenant, il se demandant où se trouvait cet homme. Si il le retrouverait, pour lui exprimer encore sa gratitude. Gabriel en avait marre de servir ainsi les hommes qu'il croisait. C'est d'ailleurs pour ça qu'il ne s'approchait jamais du village gay. Il avait peur, simplement. Il aurait aimé que l'homme de la veille l'aide, qu'il lui trouve un endroit pour se reconstruire. Secouant la tête, il chassa ses pensées idiotes et bondit du banc pour se remettre à marcher vers les ruelles. Il connaissait les ruelles par cœur, tout comme le côté sombre de la ville. En ce moment, par ce bel été, il dormait sur les toits. C'était confortable, et personne ne le trouvait, aussi haut perché. C'est ainsi qu'il se dit que non, il ne pourrait jamais retrouver une vie normale, parce qu'il n'était pas normal. Il était différent des autres.
Un an s'est écoulé. Je viens d'avoir dix neuf ans, et en une seule année, ma vie fut totalement différente. Fini les hommes qui venaient se soulager entre mes reins, fini le froid glacial de l'hiver. Tout est tellement.. Nouveau. Moi qui pensais ne jamais pouvoir vivre dans une maison, j'ai désormais peur de retourner dehors. Je vis avec Zaeden Hemingway, l'homme tatoué qui m'a récupéré, il y a un an. Avec Noa, ils m'ont aider à revivre, à m'adapter. Même si parfois, j'ai encore peur du chien d'Eden, tout est déjà mieux. Je me débrouille, je peux rester seul, j'ai grandis, selon Eden. J'arrive même à dormir dans un lit, avec lui à mes côtés. Mais c'est tellement étrange. Cependant, je n'arrive pas à faire l'amour avec lui. C'est trop effrayant encore.. Nous avons essayer une fois, mais j'ai totalement paniqué et depuis je n'y arrive pas. Oh, les câlins nous en faisons, parfois il nous arrive de faire les préliminaires mais jamais, jamais ça ne va plus loin. J'ai trop peur, malgré moi..
Depuis un mois, nous avons déménagé pour l'Amérique. Noa est parti, et Eden disait que je me sentirais mieux. J'ai peur, c'est trop bizarre. Je n'ai plus mes repères dans cette ville, dans cette maison que nous avons depuis un mois. C'est si nouveau, si soudain.. Mais au fond, plus rassurant.