Il hochait la tête depuis plusieurs minutes à ce que lui disait une jeune femme. Il n'écoutait plus vraiment depuis plusieurs minutes déjà. Elle était entrain de lui expliquer en long en large et en travers pourquoi il lui fallait un certain type de chausson de danse et pas un autre. Il avait ouvert une dizaine de boîtes pour elle et elle avait fini par trouver les chaussons parfaits. Alors pourquoi, pourquoi continuait-elle à le saouler comme ça? Et va y qu'il faisait bouger à nouveau ses longs cheveux par dessus son épaule et qu'elle lui souriait en lui disant à nouveau à quel point son magasin était merveilleux d'avoir les chaussons qu'elle voulait. En fait c'était bon il avait compris pourquoi elle le saoulait comme ça. Elle essayait de le draguer. Devait-il préciser qu'elle perdait son temps et qu'elle lui faisait perdre le sien par la même occasion? Elle n'était pas moche, bien au contraire, il y avait quelques temps il l'aurait certainement dragué le premier. Mais plus maintenant... Il ne comprenait même pas pourquoi elle s'acharnait à le draguer ainsi. Certes il était toujours plutôt beau mais il ne faisait plus rien pour se mettre en valeur. Ses jambes, ou ce qu'il en restait, était caché par un jogging gris clair large qui tombait sur ses baskets. Il portait par dessus un tee shirt blanc, large également, avec écrit le nom de sa boutique dessus. Il avait pris le tee shirt suffisamment long et large pour qu'il ne remonte pas par inadvertance pendant qu'il se perchait sur son escabeau pour attraper ce qu'il se trouvait tout en haut d'une étagère. Comme des chaussons de danse par exemple. Il n'avait pas vraiment envie de dévoiler la cicatrice qui barrait son flan gauche et allait se perdre sur son aine, sous l'élastique de son boxer. Quoi que ça l'aurait peut être dégoutée et calmée.

Lui souriant une dernière fois il coupa court à son babillage incessant.

- Je comprends tout à fait mademoiselle et je suis ravi d'avoir pu vous aider à trouver votre bonheur. Maintenant si vous voulez bien m'excuser j'ai d'autres clients qui m'attendent.

Il la planta là et s'éloigna le plus rapidement possible ignorant la moue dépitée qu'elle faisait. Sérieusement? Elle pensait vraiment le retenir en faisant une tête pareille? Il déambula un petit moment dans les rayons, essayant de semer la jeune femme. Il s'arrêta finalement dans les rayons des baskets, son préféré, et interpella un jeune homme qui semblait perdu dans ses pensées en fixant les paires de chaussures.

- Je peux vous aider?

Les baskets c'était son péché mignon, la seule excentricité qu'il se permettait désormais dans ses tenues. Il les avait toujours adoré, même avant. Il en possédait des centaines de paires. Le dressing de son appartement en était même rempli. C'était ses bébés.

Il regarda son client surpris quand il entendit ce qu'il venait de lâcher.

« …canon… »

Il avait l'habitude de se faire draguer par ses clients mais en général c'était plutôt des clientes qui le faisait pas les clients. Et il devait avouer que ça le mettait plutôt mal à l'aise. Il n'aimait plus être dragué en général mais alors par un mec c'était vraiment beaucoup plus gênant.

« …ces baskets sont canons ! Et je n’arrive pas à me décider entre toutes les prendre ou bien, en prendre seulement deux… »

Il sourit en se retournant vers sa collection. Il aimait tellement les baskets qu'il se débrouillait toujours pour en avoir un large choix. La plupart de ses clients n'appréciaient pas ce qu'ils avaient sous les yeux. Ils venaient en général pour acheter des chaussures pour courir point barre. Alors voir un autre amateur ça le faisait sourire, surtout quand il le voyait sortir son téléphone et montrer sa collection de converses.

« En fait, j’en ai déjà plein mais je ne peux pas m’empêcher d’en acheter d’autres et… de les prendre en photos évidemment… »

Il sourit à nouveau devant les photos. Sa collection était pas mal mais elle n'était rien comparé à la sienne. Les converses ce n'était pas son truc en plus. Son dressing débordait d'Adiddas, de Foot Locker et autre mais surtout de Nike.

« Pardon pour cet écart ultra-gaylicious… Donc, je disais que j’aime ces quatre paires. Mais si je craque, c’est mal… »

Il ressortit son sourire commercial, prêt à lui faire tout son baratin pour le convaincre au final. Il avait eu raison. Il était gay et il avait tenté de le draguer. C'était épuisant à la fin.

« Oh et puis merde, je vais craquer et les prendre toutes les quatre ! »

Il rit doucement en voyant son client prendre les quatre paires de chaussures. Si il craquait si facilement et achetait toutes ces paires c'est qu'il en avait certainement les moyens. Ou alors qu'il était un addict. Dans les deux cas c'était dommage de ne pas en avoir profité. Il se déplaça dans le rayon et alla prendre une autre paire de chaussures.

- Si tu les aimes alors je te conseille celles là. Je viens à peine de les recevoir.

Il lui tendit la paire en gardant son sourire commercial. Peut être qu'ainsi il arriverait à lui faire acheter une cinquième paire.

Vu la tête qu'il faisait il avait été inspiré de lui montrer la paire de chaussures. Il allait craquer et les acheter. Il en était plus que certain. Et vu ce qu'il y avait dans son panier il risquait de faire son chiffre d'affaire minimum de la journée avec seulement ce client.

« C’est mal de me tenter comme ça… Tu es un vilain garçon Monsieur, le sais-tu ? Mais… éventuellement, une cinquième paire peut à l’évidence être prise, en plus de tout ce que j’ai dans mon panier… donc ! »

Il se contenta de lui sourire sans rien dire. Il avait déjà craqué cela ne servait à rien d'insister et d'en rajouter une couche. Au pire ça risquait juste de le faire fuir et compromettre la vente. Depuis qu'il était haut comme trois pommes il passait son temps dans ce magasin. A force il avait fini par comprendre toutes les ficelles pour réussir une vente. Il n'avait eu nulle besoin de faire une quelconque formation. Il avait été formé sur le terrain et par son père. Et jusqu'ici cela lui avait plutôt bien réussi.

« Je prends ça aussi parce qu’avec mon skateboard, je vais me planter la tronche dans le bitume si je garde les boîtes et les poches. »

C'était même trop facile. Son panier était plein. Il avait pris cinq paires de chaussures et maintenant il rajoutait un sac. Il se contenta de sourire à nouveau et le suivit tandis qu'il se rendait vers la caisse. Il fit un signe de tête à son employée tandis qu'elle lui faisait comprendre qu'elle partait en pause.

Ils étaient presque arrivés quand il se fit arrêter par deux jeunes filles entrain de glousser. Il s'arrêta en reprenant son sourire de façade. Après plusieurs minutes il réussit à orienter les deux lycéennes vers le rayon des bikinis tout en les assurant que sa collègue viendrait les rejoindre et qu'elle serait tout aussi capable que lui de les conseiller sur celui qui leur irait le mieux. Il pouvait endurer tout un tas de choses mais pas des gamines entrain d'essayer des maillots de bain et se regardant en gloussant.

Il rejoignit le jeune homme et scanna les articles qu'il avait déjà plié. Après avoir tout passé et rangé dans un sac il lui annonça le prix et déposa le tout sur le comptoir, attendant qu'il le paye. Pendant ce temps il glissa un des porte clés au nom de la boutique dans le sac. Ils étaient en vente à la caisse. C'était un petit clin d'oeil à la boutique qu'il faisait. Ils marchaient plutôt bien en général et ça le permettait de se démarquer un peu. Devant le regard du jeune homme il lui expliqua en souriant.

- Avec tout ce que vous avez prix je peux bien vous l'offrir.

Et puis comme ça il garderait un bon souvenir de lui et qui sait peut être qu'il reviendra dépenser des sommes folles dans sa boutique.

Il attendit patiemment tandis qu'il finissait d'emballer ses achats et de régler. Il avait hâte que sa collègue revienne de pause. Il n'aimait pas particulièrement tenir la caisse. Il trouvait ce travail chiant et rébarbatif. Il préférait de loin se balader dans les rayons, aller à la rencontre de ses clients et discuter sport. C'était sa grande passion et il ne se lassait jamais de le faire.

« Je pense que je reviendrais bientôt chez vous. Je ne sais pas quand mais je reviendrais. Par contre j’ai une question, si les vêtements ne vont pas, est-ce que je peux venir les changer ? Je ne les ai pas essayé alors je préfère demander. »

Il lui sourit à nouveau et enchaina sur les phrases qu'il répétait des dizaines de fois par jour.

- Bien sur. Gardez le ticket de caisse surtout. Vous avez quinze jours pour venir échanger si ça ne va pas.

Il attendit à nouveau que son client se décide à partir. Maintenant que tout était emballé et qu'il avait réglé plus rien n'était sensé le retenir ici.

« Dites, est-ce qu’un de ces quatre on pourrait se boire un café ensemble ? Attention, loin de moi l’idée de vous draguer parce que j’ai bien compris que vous n’étiez pas… comme moi, rassurez-vous. Juste j’aimerais qu’on fasse connaissance et pourquoi pas devenir ami… »

Il émit un petit rire désabusé en l'entendant parler. Ce n'était peut être pas de la drague mais ça y ressemblait fortement. Boire un café ensemble juste pour devenir ami... mais bien sur. C'était vrai qu'on proposait très souvent à des vendeurs inconnus qu'on avait essayé de draguer de devenir son ami ensuite. Ca ne faisait vraiment pas tentative de drague détournée. Pas du tout.

- Écoutez...

Il soupira et passa une main dans ses cheveux les décoiffant au passage. Pour ce qu'il les coiffait bien d'habitude. Il avait arrêté de mettre du gel et de faire attention à son apparence depuis bien longtemps.

- Vous m'avez vraiment l'air d'être un garçon sympa mais...

Il se mordit la lèvre, vraiment mal à l'aise. Les filles il avait pris l'habitude de les rembarrer. C'était devenu une habitude maintenant. Mais les mecs... il ne s'était même jamais fait draguer par un homme auparavant.

- Vous avez raison je ne suis pas de ce bord là. Et... ça ressemble quand même fortement à de la drague.

Et même si il avait été du même bord que lui, même si il devait reconnaitre qu'il était plutôt mignon et qu'il devait faire craquer pas mal de monde, tout ça ce n'était plus pour lui. Il avait fait une croix sur le sexe.

- Je préfère refuser votre proposition. Mais libre à vous de revenir. Je reçois régulièrement des nouveaux stocks de chaussures.

Il lui sortit à nouveau son sourire commercial, espérant qu'il comprendrait et qu'il le laisserait.

Bon il allait le laisser tranquille maintenant. Il n'avait pas été trop dur. Enfin il ne pensait pas. Il lui avait fait simplement comprendre qu'il n'était vraiment pas intéressé et qu'il perdait son temps si il pensait avoir une chance de le draguer. D'ailleurs il semblait avoir compris puisqu'il s'en allait. Et... ah ben non. L'abruti venait de monter sur son comptoir et de s'installer bien gentiment avec son portable.

« Finalement, je vais rester là jusqu’à ce que vous acceptiez. Je suis peut-être gay et vous n’êtes pas de ce bord-là, j’ai bien compris mais, en aucun cas ma proposition était une tentative de drague. Je ne suis pas si idiot quand je veux mettre un mec dans mon lit. Quand je le veux, je le prends point barre. Et là, ce n’est pas le cas parce que vous m’avez l’air d’être sacrément fermé d’esprit pour croire que je vous drague ! »

Il soupira en l'entendant parler. Il n'allait pas laisser tomber comme ça finalement. Il jeta un coup d'oeil aux clients, voyant leur regard choqué devant l'attitude du jeune homme. Il capta le regard de son employée qui elle semblait bien se marrer de le voir dans cette désastreuse posture. Elle allait voir elle ne perdait rien pour attendre celle là.

- Attendez moi là...

Il se rendit compte en partant à quel point sa remarque était inutile. Il avait l'intention de ne pas bouger de là. Il le lui avait clairement dit. Il alla retrouver son employée et la foudroya du regard tandis qu'elle pouffait en lui parlant du jeune homme assis sur son comptoir. Son regard noir suffit à la calmer. Il lui demanda de bien vouloir tenir le magasin pendant quelques temps. Il allait s'absenter pour essayer de se débarrasser de ce type qui squattait son comptoir. Retrouvant son sérieux elle accepta et retourna à son travail.

Toujours un peu énervé il retourna auprès de son client qui semblait absorbé par son jeu. Il se planta devant lui, les bras croisés sur sa poitrine. Soupirant une nouvelle fois il finit par lâcher :

- Si j'accepte de boire un café avec vous maintenant, vous acceptez de descendre de mon comptoir?

Il croisa les doigts pour qu'il accepte le marché. Il ne voulait pas d'un "rendez vous" plus tard. Il voulait se débarrasser de cette corvée maintenant et ne plus y penser. Il laisserait tomber de lui même quand il verrait qu'il n'avait réellement aucune chance avec lui.

Il attendit que son client se décide à lui répondre. Après l'avoir fait chier pour qu'il accepte de boire un verre avec lui il n'allait quand même pas refuser non plus?

« On peut éventuellement s’arranger cher Monsieur… C’est moi qui vous invite et n’y voyez pas un plan drague ! Merci. »

Il leva les yeux au ciel et s'abstint de tout commentaire. Ca ressemblait encore une fois à de la drague. Il attrapa sa veste assorti à son pantalon et l'enfila. C'est qu'ils étaient en hiver et qu'il commençait à faire vraiment frais quand ils sortaient.

« Allons-y cher Monsieur ! Nous devons parler affaire. »

Il le suivit amusé tandis que ses clients les regardaient comme si ils étaient devenus tarés. Dans un sens ils n'avaient pas tord. Son client avait quand même l'air d'être un sacré personnage. Il regrettait déjà d'avoir accepté de sortir, euh non de prendre un café avec lui. Ils ne sortaient pas ensemble, ce n'était pas un rencard.

« Je connais un très bon café dans le coin et les gens y sont très sympathiques. »

Il hocha la tête et le suivit dans les rues pour rejoindre le café dont il parlait. Il resta un peu en retrait tandis que le jeune homme, Sage de ce qu'il avait pu entendre, discuter avec la serveuse. Il semblait effectivement bien la connaitre puisqu'elle prit de ses nouvelles et qu'il... merde qu'il leva son tee shirt pour lui montrer son corps. Il eut à peine le temps d'apercevoir une cicatrice avant qu'il ne se rhabille. Mais merde ce mec n'avait donc aucune limite. Jamais il ne lui viendrait à l'esprit de montrer à quelqu'un les siennes de cicatrices. Et encore moins dans un lieu public.

« Vous prendrez quoi ? »

Il mit quelques secondes avant de réaliser que c'était à lui qu'il s'adressait à nouveau.

- Oh un café ça ira merci.

Il se détourna et le laisser finir de parler avec la serveuse tandis qu'il alla chercher une place où s'asseoir dans un coin tranquille. Après s'être assuré qu'on ne le verrait pas il s'assit avec précaution, cachant son membre amputé. De la façon dont il se tenait et là où il était assis on ne pouvait deviner ce qu'il se cachait sous son pantalon. C'était devenu ça sa vie. Il passait son temps à essayer de vivre avec son handicap, le cachant aux yeux des gens en permanence. Et jusqu'à présent ça marchait.

Il soupira et attendit que Sage vienne le rejoindre. Il sentait déjà qu'il allait regretter d'avoir accepté de venir.

Il le vit finalement se décider à le rejoindre à sa table. Tant mieux, plus vite il se déciderait à en venir à ce qu'il voulait et plus vite il pourrait retourner à son magasin.

« Comment vous vous appelez ? Oui parce que bon, je vous offre un café mais je ne vous ai pas demandé votre prénom. »

Il sourit, de son premier vrai souvenir depuis qu'il avait abordé Sage. Il venait enfin de se rendre compte qu'il avait invité à boire un café un mec dont il ne connaissait pas le nom. Si ce n'était pas une tentative de drague motivée uniquement par ce qu'il avait vu de son apparence...

Il remercia la serveuse qui venait de leur déposer leurs cafés. Il commença à siroter tranquillement le sien.

« Je suis désolé pour ce que j’ai fait… Ce n’était pas parti d’une mauvaise intention et même si vous croyez le contraire, je peux vous assurez que je ne vous drague pas… Pardon pour mon cirque. »

Il releva les yeux de son café un peu surpris. Bon il s'acharnait encore à lui faire croire que ce n'était pas de la drague mais ça il pouvait bien passer dessus. Il venait de s'excuser pour sa attitude. Et ça il ne pensait pas vraiment qu'il allait le faire. Il lui avait semblé tellement sûr de lui et obstiné un peu plus tôt. Il ne s'imaginait pas que c'était le genre de gars à reconnaitre ses tords et à aller s'excuser par la suite.

Il fit un vague signe de la main, montrant que ce n'était rien.

- Ce n'est pas grave. Vous avez juste choqué quelques clients et fait mourir de rire mon employée. Rien de bien méchant.

Et il l'avait un peu saoulé aussi mais bon il pouvait bien lui pardonner et lui laisser une chance de devenir ami comme il lui avait dit le vouloir. Il s'était un peu trop coupé du monde depuis qu'il était revenu de la guerre, il était peut être temps qu'il réapprenne à se faire des amis.

- Aidan... Je m'appelle Aidan...

Il lui fit un petit sourire avant de replonger dans sa tasse de café.

Un éclair déchira l'horizon, ne lui arrachant aucune réaction tandis que Sage en tombait de sa chaise.

« Waa-aïe ! Putain de bordel à cul ! »

Il se contenta de sourire légèrement derrière sa tasse, amusé par ce grand garçon si sûr de lui qui avait eu peur d'un petit orage. Il le regarda par contre assez inquiet quand il vit qu'il s'était blessé la main. Il était sur le point de lui venir en aide quand la serveuse le devança.

« Je suis maladroit… Je vais me changer je reviens. »

Il hocha vaguement la tête et le regarda partir en direction des toilettes avec une partie des vêtements qu'il venait de lui acheter. Il fit signe à la serveuse et lui demanda de ramener un second cappucino pour le jeune homme et une poche de glace pour sa main. Elle accepta avec un sourire et revint quelques minutes avec le jeune homme.

« Désolé, ça risque de ne pas être joli à voir… »

Il détourna le regard en grimaçant tandis que Sage se mettait à opérer sur sa main. Il avait vu du sang, beaucoup de sang. Il avait supporté les membres arrachés, les cris d'agonies de certains. Il avait du endurer la vision de ses propres plaies et de son membre d'abord réduit en un paquet de chairs sanguinolentes puis en un moignon disgracieux. Mais pourtant il ne s'était jamais fait à tout ça. Ou peut être que c'était justement parce qu'il avait vu trop de sang et de souffrance qu'il n'arrivait plus à en supporter la vision.

« Désolé. Où en étais-je… ? Oui donc vous vous appelez Aidan… ça fait longtemps que vous êtes ici ? »

Il sourit avec indulgence et se déplaça sur son siège pour se rapprocher de lui. Il prit la poche de glace qu'avait ramené la serveuse et attrapa la main bandé du jeune homme. Doucement il retourna sa main et posa la glace à l'intérieur.

- Ca va empêcher la plaie de saigner davantage et ça va calmer la douleur.

Il lui sourit gentiment, gardant sa main dans la sienne et pressant la poche dans le creux de la sienne.

- Maintenant au moins je suis certain que vous ne me draguez pas. Ou alors vous avez une façon bizarre de draguer parce qu'entre la chute de la chaise et l'opération du chirurgie juste sous mes yeux vous ne pouviez pas faire pire.

Il rit légèrement. Comme tentative de drague c'était vrai qu'il ne pouvait pas faire pire. Autant le coup de s'asseoir sur son comptoir et de squatter jusqu'à avoir un rendez vous ça aurait pu marcher si il avait été gay. Mais là pour le coup...

- Je pense qu'on peut se tutoyer non maintenant? Si tu veux qu'on devienne ami autant commencer par là non? Avant que je ne me mette à te raconter ma vie ô combien passionnante que je t'ai toujours passé dans cette ville.

Il était sur le point de lui poser des questions sur lui quand ils furent interrompu par la sonnerie de son téléphone. Il l'écouta, surpris qu'il le lise à voix haute. Apparemment c'était un sms d'un de ses professeurs qu'il lui donnait un devoir. Enfin c'est ce qu'il comprenait parce que vu sa façon d'en parler... il devait avoir un grain.

« Bon sang, il arrive au bon moment celui-là… Je déteste l’humour de mon Professeur de Photographie… Bref. Donc, tu me disais que tu avais vécu ici toute ta vie ? Tu n’as jamais voyagé ? »

L'humour... oui bien sur on pouvait voir ça comme ça, de l'humour. Lui personnellement il trouvait surtout qu'il avait l'air taré son professeur. "Votre mission que vous devez accepter..." Il ne savait pas ce qu'il avait fumé mais ça avait l'air vraiment bien. Il avait trop regardé Mission Impossible celui là. Il sortit de ses pensées et revint à la discussion.

- Hurm... non je n'ai jamais quitté Memphis. J'ai repris il y a quelques temps la boutique de mon père.

Il haussa vaguement les épaules et lâcha finalement sa main, laissant la poche de glace dedans. Il oubliait qu'il avait un gay en face de lui et que quoi qu'il dise il était persuadé qu'il essayait de le draguer. Il n'était pas fou, il avait bien entendu le "canon" qu'il avait laissé échapper. Et il ne parlait pas des chaussures quand il avait dit ça.

- C'était un sms de ton prof de photographie? T'es étudiant? Tu n'étudies que la photographie ou tu fais autre chose?

Il essayait de changer plus ou moins discrètement de sujet. Il n'avait pas vraiment envie de parler de lui. Il avait menti, il avait voyagé. Mais voyager pour ne voir que des champs de bataille dans les pays de Moyen Orient est-ce que ça comptait? Non pas vraiment. Il n'avait pas envie de parler de la guerre, de pourquoi il était devenu militaire et pourquoi justement il ne l'était plus.

Il sirotait distraitement son café, attendant une réponse de Sage. Il ne regrettait plus complètement d'avoir accepté de venir avec lui prendre un café. Certes ils avaient des caractères radicalement différent mais ça ne l'empêchait pas de trouver Sage plutôt sympathique. Peut être qu'il avait raison et qu'ils pourraient devenir amis.

« Oui, c’était mon Professeur de Photographie. Il a tous les numéros de ses élèves et quand ça lui prend, comme là, il nous envoie une mission comme il dit. Je pense aussi que tu as compris que ça compté pour nos examens de fin d’année. Sinon, oui je suis étudiant en Arts et Photographie. Au moins, si je ne peux pas percer dans une matière, je percerais dans l’autre ! Sinon, j’offrirais mon corps aux gens riches et célèbres. Et quand je serais sur le point de mourir pour de bon, je me dirais ‘’ah si j’avais su !’’ … »

Il le regarda en souriant à moitié, ne sachant pas si il plaisantait ou si il était vraiment sérieux. D'un côté il avait l'air d'être le genre de type à l'aise avec son coeur qui se tapait tout ce qu'il pouvait. Un peu comme lui avant qu'il revienne dans cet état et en version gay. Mais d'un autre côté il avait du mal à se dire que ce type pouvait vraiment être entrain de lui dire sérieusement qu'il envisageait de quasiment se prostituer un de ces jours. Non, non ça devait être une blague, il se foutait de lui.

« Seulement, je risque d’être un peu dans la merde parce que les sportifs anonymes qui acceptent d’être photographiés, ça ne courent pas les rues… »

Il sourit un peu plus largement au jeu de mot pourri qu'il venait de faire. Il devait plaisanter certainement. Ou alors il parlait à tord et à travers parce qu'il était nerveux. Il pouvait le comprendre. Son professeur, complètement dérangé au passage, lui envoyait un sms des plus bizarres et lui imposait un thème assez spécial pour un devoir qui apparemment compterais pour beaucoup dans ses examens. A sa place lui aussi il se mettrait à paniquer.

« Et j’en ai vraiment besoin pour mon book… Tu sais, la photographie c’est pour moi l’équivalence d’une dose de drogue pour un camé. Je ne peux pas vivre sans. J’aime tellement ça que j’en rêve la nuit… Tu dois me prendre pour un taré… »

Il comprenait parfaitement ce qu'il venait de dire. C'était un peu son cas pour le sport. Il avait baigné dedans toute sa vie et ne s'était jamais arrêté. Quelque soit le sport il fallait qu'il en fasse. Il avait à peu près tout essayer, mis à part la danse. Ca il était plutôt pitoyable. Il s'était forcé un peu autrefois pour les bals de fin d'année et draguer en boîte mais maintenant c'était terminé.

- Non rassures toi, moi c'est pareil avec le sport. Si je passe plus de quelques jours sans en faire je suis malheureux et je me met à tourner comme un lion en cage dans mon appartement.

Il prit sa tasse de café et la vida. Il allait bientôt falloir qu'il retourne à sa boutique. Il hésitait à proposer à Sage de se revoir. Il lui avait dit qu'il reviendrait dans son magasin, il le reverrait certainement mais... Il avait parlé de boire un verre et de devenir amis à la base. Est-ce qu'il s'attendait à ce qu'il lui donne son numéro de téléphone? Intérieurement, il frissonna à cette pensée. S'échanger ses numéros ça ferait un peu trop rencart à son goût. Il lui avait dit. Il ne voulait pas d'un rencard et encore moins avec un homme.

- Tu sais... pour ton problème de modèle j'ai peut être une solution.

Il enchaina rapidement avant qu'il ne lui vienne l'idée de croire qu'il était entrain de se proposer comme modèle. Oh non tout mais pas ça. Jamais il ne serait capable de se soumettre à l'objectif de quelqu'un. Jamais plus...

- Des sportifs ça ne court peut être pas les rues mais les rayons de mon magasin en sont plein. Tu peux peut être essayer de trouver quelqu'un qui serait d'accord là bas.

Il espérait vraiment qu'il ne penserait pas à lui demander. Jouer au mannequin ça ne l'intéressait vraiment pas. Il y avait bien eu une époque de sa vie où il en aurait été enchanté. A l'époque il se trouvait magnifique et n'hésitait pas à jouer de son charme pour obtenir ce qu'il voulait. Aujourd'hui il était parfaitement conscient que même si son visage n'avait rien subi, son corps lui n'avait plus rien de magnifique. Il n'y avait rien à prendre en photo qui en vaille la peine.

« Tu feras un très bon modèle ! »

Il se décomposa sur place tandis que Sage lui lançait un regard digne du chat potté. Il en était certain. Il n'allait plus le lâcher maintenant. Il allait faire comme dans son magasin et le harceler jusqu'à ce qu'il cède et accepte de faire ses maudites photos.

« Siiiiiiiiiiiiii teeeeeeeeeeeeeeeeeeeuuuuu plééééééééééééééééé Aidaaaaaaaaaan dis-moi oui ! »

Il passa une main mal à l'aise dans ses cheveux, ne sachant pas vraiment quoi lui répondre pour qu'il ne le prenne pas mal mais qu'il le lâche quand même. Il n'avait pas envie de le faire. Il ne pouvait supporter l'idée de devoir se dévêtir et se soumettre au regard de quelqu'un et pire encore à l'objectif d'un appareil photo. Il ne pouvait pas le faire.

- Je suis désolé mais je ne peux pas te dire oui.

Face à son regard dépité il s'empressa d'ajouter :

- J'aurais aimé te faire plaisir mais je ne peux pas. Me faire prendre en photo ce n'est vraiment pas mon truc. Tu peux me raccompagner au magasin si tu veux. Je suis certain qu'il y a pleins de mecs qui donneraient n'importe quoi pour aller s'exhiber devant ton appareil photo. Ce n'est juste pas pour moi.

Lui il préférait se faire oublier et attirer le moins possible l'attention. Parce qu'il si il le prenait en photo il voudrait le mettre torse nu et ça il ne pouvait pas. Parce que peut être qu'il voudrait le mettre en short et ça il pouvait encore moins. Il ne pouvait pas risquer que quelqu'un découvre la vérité, qu'il découvre l'handicapé qu'il était devenu.

Il espérait qu'il le laisserait tranquille désormais. Il n'avait pas été méchant. Il avait essayé de lui faire comprendre en douceur que de poser pour faire des phots ce n'était vraiment pas son truc. Alors il espérait vraiment qu'il comprendrait et qu'il le laisserait. Mais ça... il n'était pas certain que cela arriverait. Et vu comme il fronçait les sourcils il n'était vraiment pas convaincu qu'il allait le laisser.

« En fait, tu t’en fous que je foire mon année par ta faute… Merci, c’est très gentil de refuser un service aussi simple que celui-là ! Je vais simplement dire à mon Professeur de me mettre zéro parce que mon modèle n’a pas voulu être coopératif et que je n’ai trouvé personne d’autre. Merci Aidan… »

Et voilà qu'il le faisait culpabiliser maintenant. Il était certain qu'il pourrait trouver quelqu'un pour le faire à sa place. Des prétentieux il en existait pleins. Et des prétentieux qui faisaient du sport il pouvait en trouver tout un tas dans sa boutique. Il n'allait pas avoir un zéro. Et puis ce n'était pas un service simple. Pas pour lui. Ca ressemblait plus à quelque chose d'insurmontable.

« Tu peux y aller, je te libère… Je vais rentrer chez moi, moi… »

Il tendit la main et attrapa son poignet, comme pour l'empêcher de partir même si il n'avait pas amorcé son départ encore. Il sentait qu'il l'avait blessé. Il ne savait pas pour quelle raison son simple refus avait provoqué ça mais il s'en voulait.

- Ne pars pas s'il te plait. Et ne m'en veux pas...

Il se mordilla la lèvre mal à l'aise. Il ne pouvait pas accepter. Il ne voulait pas. Ca serait trop dur de faire ça. Il n'osait pas imaginer à quel point ça serait dur. Les photos seraient gâchées. Ca se verrait forcément dessus. Il découvrirait la vérité, l'horrible vérité. Puis il serait obligé de trouver quelqu'un d'autre au final. Il voulait la photo d'un sportif pas d'un handicapé.

Il se recula et lâcha doucement son poignet.

- Je suis désolé. J'aurais vraiment voulu t'aider mais... je n'aime pas être pris en photo. Et... je... je n'ai pas envie de devoir me dévêtir...

Il se mit à rougir furieusement. Voilà il l'avait dit. Il avait honte de lui, de son corps. Non il ne pouvait pas laisser Sage le prendre en photo.