La matinée parut plus longue que les autres jours. Il avait pris congé cette après-midi-là pour la passer en compagnie de Ruben. Mais il avait été d’une humeur de chien les trois heures où il avait été là. A tel point qu’il en avait loupé une vente. Cela fait quelques temps déjà que son patron cherchait des excuses pour le virer. Mais Micah, c’est difficile de le virer, avec son beau sourire et toutes ces clientes qui affluent pour avoir à faire avec lui. Micah commence cependant  à en avoir marre, marre de ce boulot, de ces collègues et de ce patron. Il ne lui faudra plus très longtemps pour démissionner et chercher ailleurs. Aujourd’hui ne signe pas son dernier jour, mais qui sait… la semaine prochaine peut-être. Il était resté aussi longtemps ici par pure nostalgie. Pour arpenter tous les jours le lieu où il t’a rencontré. Stupide, oui.

Il claque la porte de la boutique sans se retourner. Il changera bientôt. Il prend les clés de sa voiture dans sa veste et prend le volant. Son ancêtre. Elle est peut-être plus vieille que lui, mais il a trop de souvenirs dans cette voiture. Son premier toit… sa première fois…  Elle en a vécu des choses avec lui cette voiture. Il est chez toi rapidement, remontant l’allée au pas le regard braqué sur cette maison immense. Il se gare sur le côté, conscient que sa voiture fait tâche dans ce décor.

Il n’a pas besoin de sonner, il sait qu’il peut être là, passer cette porte en étant accueilli par le sourire des domestiques qui le débarrassent de sa veste – il ne s’y fera jamais – il sait qu’il peut être là. Alors il commence à te chercher. A cette heure-ci, où pourrais-tu être ? Il passe jusqu’au bureau, presqu’aussi grand que son appartement. Mais la pièce est vide, aucune trace de toi. Alors il continue. On pourrait passer des heures à des parties de cache-cache dans cette maison, on n’en sortirait pas. Mais tu n’es en rien un joueur de cette trempe. A cette heure-ci, il n’y a pas trente-six mille pièces où tu pourrais être. En arpentant le salon, il remarque la porte fenêtre ouverte sur le jardin, et un sourire s’épanouit sur ses lèvres.

Les mains dans les poches de son jeans, il sort, avec cet air nonchalant qu’il prend en ta présence. Son regard se pose sur toi, allongé sur ton transat, avec pour seul vêtement un short de bain. D’un geste caractéristique, il passe sa main dans sa nuque, détournant le regard une brève seconde pour chasser ce désir ses yeux. Puis il se rapproche, un peu plus pudique sur les sentiments que tu éveilles en lui. Il arrive à ton côté, te surplombant de son mètre quatre-vingt-cinq. « Je ne sais jamais où te chercher dans cette maison. » Il finit par se pencher sur toi, pour venir chercher tes lèvres chastement. Restant à quelques centimètres de ses lèvres encore, il chuchote : « Salut. » Puis il s’assied sur le transat à côté de toi. L’après-midi sera belle, il n’en doute pas un instant.

« Oh, tu aurais très bien pu être dans ton bureau à plancher sur je ne sais quoi encore.. » Il te pique un raisin de ta coupe de fruit. Il a toujours admiré la bête de travail que tu es. Micah en serait incapable. Trop occupé avec des petits jobs à mi-temps pour prétendre à travailler comme toi. Et puis, ça ne lui plairait pas. Etre PDG d’une grande entreprise n’est pas donné à tout le monde. Vivre dans le luxe non plus. Et certaines personnes ne s’y habitueront jamais. Il ne sait d’ailleurs pas si lui-même s’y ferait de toute cette luxure. Il n’a jamais fait partie de cette classe. Tout en toi le lui rappelle souvent. Et cependant, il n’en éprouve aucune jalousie, aucune envie. Parce que tout ce qu’il veut c’est toi, pas ton argent, toi. Mais ça, ce n’est pas une notion que tu sembles encore envisager. Encore moins ta fille aînée.

Tu t’assieds en face de lui qui te couve un peu du regard. Il en est encore là, Micah en contemplation devant cet homme qui l’a choisi lui plutôt qu’un autre. Mais cela fait longtemps qu’il a appris à mettre un frein sur ce que reflètent ses yeux, de peur d’être trop transparent, trop prévisible. De lasser aussi. Il appuie ses coudes sur ses cuisses et t’observe un moment. Il y a une lueur dans tes yeux, une lueur brillante qui lui souffle qu’il se trame quelque chose. Qu’as-tu donc encore inventé là, Ruben ? Qu’as-tu encore fait ?

L’intuition se confirme quand, malicieux, tu lui annonces que tu lui a pris un petit quelque-chose. Instinctivement, Micah se raidit et fronce les sourcils. S’inquiétant de ce qu’est réellement ce petit quelque-chose. Il te connait, tu sais. Tu ne sais pas lui offrir quelque chose de simple, de banal, tu ne fais jamais à moitié. Et quand tu lui sors une petite boite de sous le transat, il a un imperceptible mouvement de recul. Qu’est-ce que tu as encore été cherché là ? « Ruben… » Il gronde un peu. Mais tu vas ignorer son ton, sans doute. Comme d’habitude. Méfiant, il prend la boite que tu lui tends, les possibilités de ce que c’est défilant dans son esprit.

Il défait le nœud doucement, n’osant ni un sourire, ni un regard de remerciement. Micah n’a pas besoin de tout ça, il n’aime pas spécialement cette impression de se faire acheter par ton argent. Comme si tu ne lui faisais pas confiance. Mais la confiance se mérite dit-on. Tu mettras le temps, mais un jour, tu le croiras. Il ouvre la boite, sa prudence est risible presque. Mais quand il découvre ce qu’il y a à l’intérieur, il est stupéfait. Il s’attendait à tout sauf à ça. Il sort la miniature de sa boite, un jouet en plastique. Puis il te regarde et un sourire étire ses lèvres, jusqu’à finir par rire de bon cœur et surtout, de soulagement. Rien de tape-à-l’œil, rien de bling-bling, rien d’exorbitant. Juste une petite voiture en plastique. Il vient essuyer une larme qui perlait à son œil. Il riait, soulagé de pouvoir accepter sans broncher cette fois-ci. « J’ai cru que le cadeau allait être encore monstrueusement cher. Par contre… » Il reprend un semblant de sérieux. « Je parie que tu ne m’as encore tout dit, ce jouet doit avoir une particularité, non ? Une édition limitée d’une collection dont j’ignore complètement l’existence ? » Naïf. Mais il sait que tu ne peux pas te contenter d’une babiole en plastique sans intérêt. « Alors dis-moi, il est où le piège ? » Le sourire de Micah se fait un peu prédateur.

Il fait tourner la petite voiture dans ses mains, réfléchissant un peu à ce drôle de cadeau. Il devait il y avoir un truc, non ? Quelque chose qu’il allait découvrir et qui ne lui ferait pas plaisir, n’est-ce pas ? Ou peut-être l’avais-tu vraiment écouté la dernière fois ? Il ne sait pas trop, et ne voulant pas tirer de conclusions trop hâtives, il ne te gronde pas pour savoir. Pas encore. Il observe la petite Jaguar blanche, réfléchissant toujours quand tu viens le distraire.

Rapprochant ton transat, venant poser tes mains sur ses cuisses pour lui arracher un autre baiser. Micah n’a jamais été très pudique, il ne s’est jamais gêné devant les gens à cacher baisers et regards langoureux. Mais avec toi, il était plus prudent. Il attendait toujours que tu lui ouvres la voie, que tu prennes l’initiative. Un homme comme toi ne peut pas être vu en compagnie d’un compagnon trop excessif, trop démonstratif. C’est du moins comme ça qu’il se l’imagine. Te laisser prendre les devants lui permet de savoir jusqu’où lui aussi peut se laisser aller. Mais dans le fond, ici, il n’y a que vous deux. Qui donc y a t-il à craindre ?

A son tour, Micah vient glisser une main sur ta cuisse, restant penché vers toi et l’esprit complètement détourné par cette petite voiture blanche qu’il fait rouler entre ses doigts. Il laisse couler un regard sur toi, un peu salace. Détendu, il laisse plus facilement libre court à ses plans un peu plus lubriques qu’un simple plongeon dans la piscine. Déjà rien que le fait qu’il n’avait pas de maillot pour lui constituait un plan en soi. Mais ce sera plus tard, l’après-midi ne fait que commencer. Il allait te voler un nouveau baiser quand tu repris la parole, pour parler boulot.

Micah ne se méprend pas sur ton sourire. La question n’est que pure politesse, plusieurs fois tu lui as demandé d’arrêter ce petit job de sous-fifre, prétextant qu’il n’en avait pas besoin grâce à ton argent. Et puis quoi encore ? Bientôt tu lui demanderas de revendre son appartement ou pire, de le payer à sa place ? Pourquoi ? Pour vivre dans cette maison et passer ses journées à ne rien faire. Désolé, il n’est pas ton ex-femme. On ne l’achète pas, mais tu ne comprends pas encore cela. Il te sourit, mais moins sincère, son visage devient un peu plus sérieux et fatigué. « Aucun, j’ai même fait louper une vente à un collègue. » Il baisse les yeux et la tête sur cette petite voiture blanche que par réflexe, il avait commencé à faire rouler sur ta cuisse dans un lent mouvement de va-et-vient. Il fronce les sourcils puis te regarde à nouveau.

« Je crois que je vais démissionner. » Il devine d’emblée ton enthousiasme, c’est pour ça que, avant que tu ne puisses dire quoi que ce soit il embraye. « Ils cherchent un vendeur dans ce magasin de lingerie au centre-ville, tu sais, là où seule la Haute peut venir s’acheter ses petits culottes et ses slips. Je passerai l’entretien vendredi. Ça me changera des téléphones. » La Haute, il n’y a que Micah pour réussir à ironiser sur la bourgeoisie sans en avoir l’air. Il sait que ça ne va pas vraiment te plaire. Mais tu ne lui feras pas renoncer à retrouver un boulot après celui dans la téléphonie mobile.

IIl guette, Micah, la réaction sur ton visage. Travailler dans une lingerie – même pour homme – ne pouvait pas forcément te plaire, surtout connaissant ses préférences sexuelles. Homme ou femme, peu importe et tu le sais bien. C’est d’ailleurs pour ça que ton visage se ferme d’un coup. La prochaine étape c'est travailler directement pour une boite de pornos... Micah hoche la tête, encaissant la remarque sans broncher. Il l’avait mérité pour sûr, la blague n’est pas drôle. « J’ai déjà testé le porno… » Il parle avec le plus sérieux du monde, alors que jamais au grand jamais il ne s’abaisserait à cela. « Mais je n’étais pas assez bon acteur pour prendre mon pied avec assez de conviction. » Il te regarde en terminant ces mots. Mais tu as déjà le dos tourné, tu ne peux pas voir son grand sourire hilare accroché à ses lippes.

Il doit avouer aimer cette jalousie et cette possessivité que tu as pour lui. Parce que cela n’avait rien de malsain chez toi, tu ne le considères pas comme une chose à posséder, jusqu’à ce que la lassitude vienne. Il n’a aucune preuve, cependant il y a une différence entre ta façon de le regarder et cette façon macabre qu’avait l’autre quand il le couvait à la dérobée. Toi c’est différent. Ou alors son romantisme à toute épreuve avait encore frappé.

A son tour, Micah se lève et vient te rejoindre. Il allait pour venir se glisser dans ton dos quand tu te retournes brusquement pour le houspiller à nouveau. Il reste un court instant interdit et puis t’offre un sourire tendre. Vous n’êtes plus qu’à quelques pas l’un de l’autre à présent, et Micah ne se prive pas. « Je n’irai pas à cet entretien. » Il se rapproche encore, glissant ses mains sur tes hanches. Il lève ensuite les yeux vers toi, toujours ce doux sourire aux lèvres. « Je n’irai pas à celui-là, mais j’irai à un autre, un boulot plus neutre si tu préfères, je regarderai… Dans l’automobile pourquoi pas ? Je n’ai pas encore testé. » Il ponctue d’un petit clin d’œil.

Puis il vient embrasser le creux de ton cou, tentant de te dérider un peu. « Mais j’ai envie de travailler, Ruben… » Qu’il souffle contre ta peau. « Ce n’est pas pour t’éviter… » Un autre baiser. « J’ai un loyer à payer, l’essence, les assurances, … » Encore un autre. « Et il est hors de question que je vive sur ton argent. Je ne suis pas ici pour ça. » Là, il mordille le creux de ton épaule avant de revenir vers ton visage pour venir planter son regard dans le tien. Il aimerait que tu décèles la sincérité dans ce regard. Il aimerait que tu le croies. Mais la confiance ne s’achète pas, elle met du temps à s’installer. Il a encore un petit sourire complice. « Et juste pour bien préciser les choses, je te faisais marcher pour le porno. »

Comme il l’avait deviné, tu ne comprends pas. Micah, il a besoin de ce travail, pour lui, pour faire quelque chose de ses journées, pour avoir un train de vie régulier et ne pas s’ennuyer. Il est encore trop jeune pour se poser sur un transat toute la journée et profiter d’un luxe que de toute façon, il ne possède pas. Et puis surtout, avoir un travail c’est garder une certaine indépendance. S’assurer de pouvoir retomber sur ses pieds le jour où peut-être, tu ne voudras plus de lui. Tu ne peux pas lui interdire de bosser, ou l’engager, comme tu dis, pour le garder à la maison. Parce qu’il ne restera pas à la maison. Cela le rendrait complètement cinglé.

« Ce n’est pas comme ça que ça marche, Ruben. Tu sais bien… » Il n’élève pas la voix, ni ne gronde. Le sujet a déjà été bien trop souvent abordé que pour amorcer une énième dispute dessus. Vous ne vivez pas sur le même niveau de vie. Micah n’est pas encore prêt à abandonner tout ce qu’il a pour tout ce que tu offres. C’est beaucoup trop rapide. Beaucoup trop risqué. Il est peut-être ta première expérience avec un homme, qui lui dit que tu ne voudras pas essayer quelque chose de nouveau d’ici un ou deux mois. L’idée l’effraye assez que pour te tenir tête. Il ne veut pas tout lâcher pour se retrouver sans rien d’ici deux mois. Et puis merde, c’est aussi de sa fierté qu’il est question. « Puis tu ne feras jamais de moi un homme au foyer. » Rien qu’à cette idée, il grimace.

Enlacé, il se laisse aller contre toi en soupirant. Respirant ton odeur dans le creux de ton cou. Un moment, le temps semble se suspendre. Il pourrait rester ainsi toute la journée s’il le fallait. On n’est jamais mieux que dans les bras de celui qu’on aime. Mais bientôt, pris d’une nouvelle impulsion tu t’écartes et te saisis de sa main. Allez, tu viens, j'devais te montrer un truc. Il lève les yeux au ciel. « J’espère que ça en vaut le détour. » Il plaisante bien sûr. Il est gagné par la curiosité de découvrir ce que tu caches enfin.

Main dans la main, vous traversez le jardin, contournant la maison, l’emmenant vers l’allée principale. Arrivé devant la maison, il ne put manquer la voiture rutilante ornée d’un ruban rouge garée à l’entrée. Micah siffla d’admiration. « Tu t’es acheté une nouvelle voiture ? » Il te lâche alors, allant observer le bolide de plus près. La voiture est tout simplement sublime, racée, sportive. Il se penche pour regarder l’intérieur tout en cuir. Il fait glisser ses doigts sur la carrosserie, tu ne fais jamais de faute de goût en matière de voiture. Puis quelque chose le frappe alors : il a déjà vu ce modèle. Appuyé sur la portière, dos à toi, il se raidit et baisse le regard sur le renflement de sa poche qui abritait la petite voiture miniature. Ruben, dis-le, dis-le que tu n’as pas fait ça. Plus tendu, il constate : « Tu sais toujours bien les choisir. » Il préfère zapper la mauvaise impression qui le titille. Cette voiture est à toi. N’est-ce pas ?

Il ne pouvait s’empêcher de faire le lien entre la voiture et le modèle réduit dans sa poche. Et en même temps, il voulait à tout prix que cette voiture soit la tienne. Non pas qu’il n’aimait pas le modèle, la couleur, ou la marque. Mais parce qu’on n’achète pas une voiture à quelqu’un comme ça. Surtout que jamais Micah ne pourra lui rendre la pareille. Et puis, il ne trouve pas ça très naturel, très sain. Cela ne fait que trois mois que vous êtes ensemble. Non la voiture doit être à toi, certainement. Pas pour lui. Et pourquoi d’abord ?

Du coin de l’œil, il te regarde approcher, glissant une main sous le gros nœud rouge, presque ridicule tellement il est énorme sur cette voiture. Quand tu tends l’enveloppe vers lui, il hésite à la saisir. Non, Micah n’est pas aussi con que ça. Interdit, il prend l’enveloppe et déglutit quand il reconnait une clé, à l’intérieure. Il sort la clé, la tenant du bout des doigts et blêmit. Pour un peu, il était aussi blanc que la voiture. Sa voiture. Il te jette un regard en coin, indéchiffrable, puis regarde à nouveau l’engin. « Bordel de merde, Ruben ! »

Gardant la clé, il passe ses mains dans ses cheveux, comme si il cherchait à se les arracher. Il recule, fixant toujours le bolide. Il lui faut quelques secondes, durant lesquelles ses idées se bousculent. Puis il fixe à nouveau son regard sur toi, pour te foudroyer sur place. « Tu m’as acheté une voiture ?! UNE VOITURE ?! » Et pas n’importe quelle voiture. Il sait qu’il n’en trouvera pas deux dans Memphis comme celle-ci, peut-être même dans le pays… ou pire. Qui sait ? Il recule encore. « Pourquoi t’as fait ça ?! » Il est complètement abasourdi, désespéré. Pourquoi faut-il toujours que tu fasses ça ? Tu ne peux pas te contenter d’une boite de chocolat ou de place de cinéma ? Comme tout le monde ?

Il finit par se laisser choir sur l’herbe, le regard perdu sur la voiture qui est à lui à présent. Il tourne la tête, à la recherche de son ancêtre. Il aperçoit un coin, là où il l’a laissé. « J’ai déjà une voiture, Ruben. Tu… tu veux que je fasse quoi de ça ?! » Il est complètement perdu. « Je fais comment pour payer deux assurances ? Surtout que je peux pas me permettre le service minimum avec celle-ci, je… Puis je la mets où ? Mon ancêtre entre à peine dans mon garage ! Je … Bordel, Ruben, c’est beaucoup trop ! » Et ce n’était pas de la fausseté, c’était sincère. C’était beaucoup trop comme cadeau.

Assis par terre, il regarde cette voiture, complètement abasourdi. Il ne sait pas ce qu’il a fait pour mériter un cadeau pareil, non pas qu’il n’aime pas la voiture – elle est parfaite – mais c’était juste … beaucoup trop. Ce n’est pas comme ça que c’est censé marcher. Ce n’est pas ainsi que… Enfin… Ruben, est-ce une preuve d’amour où le besoin d’acheter ses faveurs ? C’est ça aussi qui l’effraye, Micah. Qu’on l’achète, plutôt que de le prendre comme il est. Avec ses défauts, ses qualités et ses petits moyens. Il a la tête prise entre ses mains, il ne s’en remet pas. Mais toi non plus, visiblement, ça ne te convient pas.

Il se fige à nouveau quand tu proposes de tout payer, de t’occuper de tout. Je suis pas à ça près ! Il secoue la tête encore. C’est aberrant à quel point tu peux sortir des énormités pareilles. « Ruben ! Ce n’est pas comme ça que ça marche… » Il ne te regarde pas, fixé sur cette voiture que tu lui as acheté. Pour peu, il se balancerait d’avant en arrière comme un attardé. Mais il a plus de retenue que ça. Il grommelle des choses dans sa barbe, des mots incompréhensibles. Il ne sait plus trop quoi penser et toi à côté, tu t’énerves encore plus.

Ton poing vient s’abattre sur le capot de la voiture et il se redresse pour le regarder, momentanément distrait par ton emportement. Tu veux que je fasse comment pour te prouver que je tiens à toi ? Et je fais comment pour te garder aussi ? Hein ? Vas-y éclaire moi ! Micah se calme instantanément et te regarde avec de grands yeux. « Pour me… Garder ? » C’est donc ça qui te pousse dans ces extravagances ? C’est pour ça que tu lui offres autant de choses aussi souvent ? « C’est pour ça la voiture ? Pour que je reste avec toi ? » Sa voix est douce et prudente. Puis lentement, il se relève, les clés toujours en mains. « Ruben, t’as pas besoin de m’acheter pour que je reste. Je ne suis pas une pute de luxe. Quand est-ce que tu me croiras quand je te dis que je ne suis pas ici pour ton argent ? »

Il se rapproche à nouveau, caressant la voiture du bout des doigts. Bien sûr qu’elle est belle, bien sûr qu’elle lui fait envie. Mais pas comme ça, pas parce que tu as peur qu’il aille voir ailleurs si tu oublies de lui faire un cadeau. « Tu sais chez moi, on n’a jamais eu besoin de cadeau hors de prix pour faire plaisir à quelqu’un, ni pour prouver qu’on l’aime. » Il te regarde dans les yeux pour ces derniers mots. « Il y a plusieurs façon de montrer à quelqu’un que l’on tient à lui. Il n’est pas forcément question d’argent ou de luxure. » Il n’ose pas trop s’approcher de toi, il sait que ce n’est pas ta façon de faire. Il t’offre un petit sourire. « Je n’ai pas besoin de tout cet argent, de tout ce luxe, je suis ici pour toi. Si tu veux me faire plaisir, il y a d’autres façons de faire… moins extravagantes »

N’en verrait-il jamais le bout ? Ce n’est décidément pas comme ça qu’il avait prévu de passer sa journée en ta compagnie. Il n’avait pas prévu ce cadeau hors norme, cette dispute, cette incompréhension mutuelle. Il voulait juste une après-midi tranquille à tes côtés. Parfois, cela semblait impossible à demander. Parfois, il avait envie d’hocher la tête et de tout accepter sans rechigner. Pour ne plus à avoir à se disputer, pour ne plus se battre contre un mur. Mais il n’aime pas cette sensation d’être acheté. De ne valoir rien de mieux qu’une marchandise qu’il faut entretenir. Ce n’est pas ça sa conception du couple. Il n’était déjà pas lui-même clair sur la définition du couple. D’un sexe à l’autre, sa vision change. Avec les femmes, Micah a toujours été l’homme fort, celui qui protège, celui sur lequel on se repose pour tout. Avec les hommes, il se laisse aller, cherchant la sécurité que lui-même offre aux femmes. Mais s’il te laisse déjà faire beaucoup pour lui, il ne veut pas dépendre de toi. Un jour, tu te lasseras, ce jour-là, il ne veut pas se retrouver tout seul, sans rien.

« T’as compris l’idée, je veux pas que tu m’achètes comme ça ! »  Tes grands airs l’irritent, mais tu boudes encore plus rapidement que lui, tapant du poing comme un enfant mécontent. Adapte toi un peu, c'est ma vie tout ça, c'est ma manière de faire ! Pour le coup, Micah en retomberait le cul par terre. Eberlué, il te regarde sans rien dire t’installer côté passager bien décidé à lui faire essayer cette voiture. Au lieu de ça, Micah s’approche et s’appuie sur la portière de son côté pour te regarder. « Je conduis pas cette voiture avec un gamin tel que toi dedans. » Micah qui doucement s’énerve.

« MOI, j’ai facile ?! Que MOI je m’adapte ?! Mais je fais que ça m’adapter. » A son tour de s’en prendre à la voiture, mais il ne fait qu’abattre le plat de sa main sur la carrosserie. « Pour te reprendre, je ne peux pas jouer les riches sur commande ! » Il se redresse et passe ses mains dans ses cheveux. « Bon sang, Ruben, il n’y a pas que moi qui doit m’adapter à toi ! Tout ça, ce n’est pas moi, tout ça, ce n’est pas ma vie. Tu peux pas me demander de passer d’un monde à l’autre en claquant des doigts ! » Les mains derrière la tête, il te regarde, désespéré par ton attitude, par cette incompréhension mutuelle et par cette dispute qu’il ne sait pas comment désamorcer. Il se mord la lèvre, cherche une solution. Mais elle est là, au creux de sa main ; la clé. « Je conduirai pas dans cet état-là. Soit on se calme tous les deux et je cède à ton caprice. Soit je rentre chez moi, quitte à bousiller une voiture, autant que ce soit l’ancêtre plutôt que celle-là. »

Le soupire qui s’échappe de ses lèvres sonne son désespoir. Micah l’entêté. Il se pince l’arête du nez.  Comment gérer un homme comme toi ? Comment te faire écouter, entendre, comprendre ? Comment ? Tu ne comprendrais pas aujourd’hui, ni demain. Plus tard peut-être. Un jour tu comprendras dans quel monde vit Micah. Peut-être qu’il faudrait qu’il t’emmène chez lui un jour, que tu vois ce que c’est et que tu essayes de comprendre ce qu’il aime dans ce trente-cinq mètres carrés. Mais là, ça te dépasse tout ça. C’est inimaginable.

« Tu n’as aucun sens des réalités. Si tu savais… » Mais il n’achève pas sa phrase, dépité. Si tu voyais la pauvreté du monde, si tu voyais les gens dans le besoin, est-ce que tu réfléchirais à ce que tu fais ? A ta façon de vivre. Micah, de ton argent, il sait ce qu’il ferait. Et ce n’est certainement pas s’acheter la plus belle voiture du monde. Mais ça, c’est lui et puis c’est toi. Il contourne la voiture et vient s’assoir au volant sans un mot dire. Il passe ses mains sur le volant, appréciant le contact du cuir, le confort même de la décapotable. Bien sûr que cette voiture est parfaite.

Il ne pètera pas un mot. Rien. Il enfile ses lunettes de soleil et met la clé dans le contact. Il prend un moment pour apprécier le bruit du moteur – presque silencieux à côté de son ancêtre. Il avait déjà eu le plaisir de conduire une voiture de presque cette carrure. Presque. Tu choisis toujours le meilleur. Déterminé à ne faire que le tour de pâté de maison, il enclenche une vitesse la mâchoire crispée. « Je ne te confiera pas ma vie quand tu fais tes colères. » Micah aussi pouvait râler comme du poisson pourri et c’est ce qu’il est en train de faire. Il adore déjà cette voiture avant même qu’elle n’ait démarrée. Mais il n’en veut pas parce qu’il ne veut pas se faire acheter.

Il ne t’adressera plus un regard, plus une parole et pour t’ennuyer, ne décroche pas un seul sourire alors même qu’il s’accorde une pointe de vitesse sur une nationale. Oui, le petit tour du pâté de maison s’est déjà allongé. Mais Micah conduit vite, sec, et teste ce qu’on lui a appris dans les tournants en se risquant à un dérapage qui n’avait en fait que l’air d’être contrôlé, te secouant au passage. Il ne ralentit que sur le chemin du retour, les épaules enfin détendues, mais refusant toujours de te jeter un regard ou d’esquisser un sourire. « Content ? »

Bien sûr qu’il était content. Il n’a pas tous les jours l’occasion de conduire une telle voiture. Et rien que la ligne détendue de son dos témoignait pour lui. Mais c’était juste trop difficile d’admettre, tu es déjà bien trop satisfait de ton coup. Il n’en rajoute pas parce qu’il ne désire qu’une seule chose, rentrer à la maison et se détendre à tes côtés. Mais visiblement avec toi, c’est trop demander. Une main sur le volant, l’autre sur la portière, il tâche de profiter un peu du trajet. Espérant néanmoins que tu lui foutes enfin la paix sans la ramener.

« Maintenant je n’ai qu’une envie et… » Mais il n’a pas le temps de parler plus, tu enchaines déjà. Appeler la casse ? Son pied appuie brutalement sur le frein, et sans un regard en arrière, la voiture se stoppe net au milieu de la route en calant presque sous la brutalité de l’arrêt. Sans te regarder, la mâchoire à nouveau crispée, foudroyant l’horizon. « Raccroche ce téléphone tout de suite. T’as pas intérêt à faire ça. » Sa gorge est nouée. Son ancêtre c’était sa voiture, son bébé, ses souvenirs et c’était hors de question de l’envoyer à la casse comme ça alors qu’elle roulait encore très bien. « Ruben, je ne rigole pas. »

Mais de peur que tu ne l’écoutes pas il finit par se retourner vers toi, tendu comme un arc. Sans prévenir son bras se tend et il te vole ton téléphone avant que tu ne le mettes à ton oreille. Puis sans aucune considération pour toi et ton superbe IPhone, il balance le téléphone hors de la voiture et redémarre. Non, il ne te faisait pas confiance pour le coup. « Tu t’en rachèteras un autre. Je crois que c’est ça, agir comme un riche non ? Ne pas accorder de valeur sentimentale aux choses. Tu t’en remettras. » Micah est complètement furax. S’il aurait pu se laisser amadouer pour allonger le tour, c’était terminé, il reprit définitivement la direction de chez toi, appuyant à nouveau sur le champignon, comme s’il avait peur qu’en rentrant, il ne retrouve plus sa voiture. « Tu ne comprends vraiment rien… »

Bientôt il remonte ton allée et soupir de soulagement quand il voit le bout de sa carrosserie bleu ciel garée là où il l’avait mise. Micah ne prend même pas la peine de bien garer cette voiture, il la laisse là au milieu de l’allée, coupe le moteur et sort de la voiture. Sans un regard, il te balance les clés à la figure avec humeur. « Si elle est vraiment à moi, garde-là pour moi le temps que je lui trouve une place. Je rentre chez moi, j’ai ma dose. » Sauf que pour rentrer, il allait devoir récupérer ses clés dans sa veste… rangée par tes domestiques. C’est donc avec humeur qu’il se dirige vers l’entrée de la maison.