Le stylo rebondissait sur le bureau, produisant à chaque fois un petit cliquetis métallique, que j’étais la seule à entendre. En fond sonore, à volume très bas pour ne pas déranger les gens, la radio. « Baby, I'm just gonna shake, shake, shake, shake, shake. I shake it off, I shake it off ». Soupirant, j’en avais marre d’entendre cette chanson à longueur de journée et bâillant, je regardais tout autour de moi. La pièce n’était pas très grande, mais plutôt longue. Tout du long, des rayons remplis de livre, de toutes époques et de tous styles. Il y en avait pour tous les goûts. Pour les enfants, pour les fanatiques de science-fiction et même pour les ménagères adorant faire la cuisine. Depuis que j’avais ouvert la librairie, ce matin, je n’avais dû accueillir que cinq clients, pour la plupart des personnes âgés, qui ont passé plus de temps à me raconter leur vie qu’autre chose. Vivement midi que je sorte de là. Non pas que je n’aimais pas mon travail, j’adorais tout ce qui était libre, mais voilà, ce n’était pas le métier de mes rêves et j’avais un nouveau but dans ma vie. Reprendre des cours, dans le social, pour aider les gens dans le besoin. Mais en attendant, il fallait bien que je vive et c’était la seule solution que j’ai trouvé. Hors de question que je me retrouve de nouveau à faire le trottoir. J’avais enfin réussi à m’en sortir, ce n’était pas pour retomber là-dedans. De temps à autre je repensais à cet inspecteur, à Londres, qui m’avait arrêté plusieurs fois. Je ne sais pas pourquoi j’y repensais, surtout à lui, mais, en quelque part, il avait dû me taper dans l’œil. Je me demandais ce qu’il devenait. Le reste de la matinée passa de la même manière. Pour passer le temps, j’avais été chercher un livre que je me mis à lire. Jessie, de Stephen King. L’histoire d’un jeu amoureux qui tourne mal dans un couple, et donc la femme se retrouve menottée au lit, son mari mort à ses pieds, dans leur maison de campagne, coupée de tout. Je l’avais déjà lu mais j’avais tellement aimé que j’avais eu envie de le relire. A midi tapantes, j’éteignis tout. Mon ordinateur, les lumières et je refermai derrière moi. La patronne reprendrait le relais cet après-midi, ne travaillant qu’à mi-temps.

N’ayant pas cours aujourd’hui, j’en profitais pour me balader un peu dans le parc, pas très loin de mon lieu de travail. J’avais besoin de me dégourdir les jambes après avoir passé plusieurs heures assises, sans bouger. Je m’assis tout de même sur un banc, mangeant un sandwich que je venais d’aller acheter. Jambon – fromage. Rien de plus simple. Je regardais les gens autour de moi. Principalement des mamans avec leurs poussettes, profitant de sortir bébé par ce beau temps. Instinctivement, je posais ma main sur mon ventre. Il n’y avait rien, mais c’était un simple réflexe. Je ne me l’avouerais jamais, mais secrètement, je jalousais la vie de ses mères de famille avec leurs mioches. J’avais presque envie d’être mère à mon tour, pouvoir me caser pour de bon. Oublier mon passé. Pour toujours. Mais apparemment, ce n’était pas encore mon tour. Jetant le paquet de mon sandwich dans une poubelle, je me levai, prête à partir. Je m’allumais juste une cigarette, et je me dirigeais vers la sortie, pour rentrer chez moi, à une quinzaine de minutes. En passant un kiosque, je m’arrêtais pour détailler la vitrine. Un flyer pour un concert, ce soir au Hard Rock Café, était scotché à la vitre. The Dirty Conviction. Je ne connaissais pas, mais le « groupe rock » m’avait interpellé. De retour chez moi, tranquillement installé sur ma terrasse, je réfléchissais. Cela faisait longtemps que je n’étais plus sortie de chez moi, ne supportant plus trop la foule. Et surtout, j’avais l’impression que tout le monde connaissait mon passé, alors qu’au fait non. Ce ne fut qu’une fois sous la douche que je me décidais à sortir. Ça ne me fera pas de mal pour une fois, et le bar ne se trouvant qu’à quelques pas de chez moi, je pouvais très bien partir quand bon me semblait. Quelqu’un n’avait pas dit que toutes les bonnes idées venaient quand on était sous la douche ? Non. Je devais certainement me tromper. Sachant que j’allais sortir, je me maquillais légèrement, juste un trait d’eyer-liner sur les yeux et je laissais mes cheveux, encore mouillés, détachés. Dans ma chambre, j’enfilais juste un jean, délavé, ainsi qu’un t-shirt. Tout simple. Tout con. J’enfilai mes escarpins à talons aiguilles et je sortis, direction le bar.

Je profitais du trajet à pied pour m’en griller une, ne pouvant plus fumer dans les lieux public. Satané loi. Bon, d’un côté, c’était mieux comme ça. Arrivé devant l’endroit, j’éteignis ma cigarette et j’entrais, me posant au comptoir du bar, directement, me tournant vers la scène. J’étais arrivée cinq minutes en retard, ils avaient déjà commencé, mais ce n’était pas grave. Ma bouteille de bière à la main, je remis une mèche de cheveux derrière mon oreille et j’écoutais la musique. Mes yeux ne lâchèrent pas le bassiste. Depuis toute petite, sans savoir pourquoi, j’avais toujours été attirée vers les bassistes. Même si ça devait certainement être un groupe local, ils étaient plutôt pas mal pour leur genre. Pendant tout le concert, je restais concentrée sur eux, ne tournant jamais le regard ou me lassant. De temps à autre je regardais autour de moi. Il y avait du monde, mais c’était encore respirable, et ils devaient penser la même chose que moi, car tout le monde applaudissait à chaque fin de chanson, criant de plus en plus fort. Au bout d’environ 45 minutes de live, le groupe arrêta de jouer, j’en étais presque deçue. En tout cas, j’étais contente de moi. Pour une fois que j’avais pris le courage à deux mains pour sortir, j’avais bien fait les choses et je ne le regretterais pas. Pendant un petit instant, je tripotais mon collier. Qui, à la base, ne m’appartenait pas vraiment. Prenant une grande inspiration, je me levai de ma chaise, ma bière en main, et je me dirigeais vers le groupe. Je leur souris à tour de rôle, et, automatiquement, je m’arrêtais aux côtés du bassiste. « Félicitations ! C’était un joli show que vous avez fait là », dis-je en souriant légèrement. Je lui fis un clin d’œil, avant de boire une gorgée de ma bière, qui avait tiédi entre-temps. Fallait que je m’en prenne une nouvelle. Je vidai celle-ci d’un train, et tout en regardant le jeune homme devant moi, je lui demandais. « Vous prenez quelque chose à boire ? » Simple question, simple politesse. Je n’avais rien derrière la tête, je n’étais plus l’Isaleane d’il y a quelques années en arrière.  

Plus que quelques minutes, et ils seront sur scène. Fébrile, Jude adresse un sourire aux autres membres du groupe, sentant l’adrénaline pénétrer son corps, prendre le contrôle de son esprit. Il adore ce moment, les quelques secondes avant l’entrée sur scène. Il ne vit que pour cette énergie particulière. Il n’a pas particulièrement le trac, ce soir. Il ne s’agit au fond que d’un petit concert très local. Mais, à ce qu’il a pu voir, la salle s’est rapidement remplie, signe que leur groupe gagne de plus en plus de notoriété. Il repense au contrat qu’ils sont en train de négocier, celui qui leur permettra peut-être de définitivement gagner le rang de rock star. Il y a de fortes chances que son groupe fasse prochainement les premières parties d’un groupe très connu, si ça fonctionne, c’est certain que ça leur ouvrira des portes. En comparaison, donc, un concert au Hard Rock Coffee semble bien inoffensif. Mais Jude s’en fiche, car même s’il aspire au succès, chaque concert donné est pour lui d’une importance capitale. Peut-être qu’un jour, le succès lui montera à la tête et il deviendra blasé de cette énergie. Mais pour l’instant, il remercie continuellement la chance qu’il a de pouvoir gagner sa vie en exerçant sa passion.

Une fois sur scène, ils se mettent à jouer l’un de leurs plus grands succès, qui est chaleureusement accueilli par la foule. Il se rappelle bien les premiers spectacles, où ils n’obtenaient qu’un silence poli face à leurs compositions, suivis de quelques applaudissements sans enthousiasme. C’est toujours comme ça au départ, il fallait qu’ils jouent beaucoup de reprises pour allumer la foule et ainsi réussir à leur faire découvrir certains morceaux plus personnels. Maintenant, c’est carrément le contraire, leurs propres compositions se font largement plus acclamer que les reprises plus connues. Leur prestation se déroule donc sans anicroche, jusqu’à ce qu’ils interprètent leur dernière chanson de la soirée. Il aurait bien aimé jouer plus longtemps, d’autant plus que la foule semble décidément les apprécier, mais le patron leur fait signe de débarrasser car il doit accueillir un autre groupe d’ici une dizaine de minutes. Assoiffé, Jude attrape une bouteille d’eau près de la scène et l’avale d’un seul coup, avant de décider qu’une bière étanchera davantage sa soif. Il se dirige donc vers le bar, décidé à commander un pichet pour lui et les autres membres du groupe, mais une jeune femme s’approche de lui. « Félicitations ! C’était un joli show que vous avez fait là. » Il lève le regard vers elle, l’évalue rapidement d’un coup d’œil. C’est un truc que Jude fait toujours, lorsqu’une fille l’aborde. Il observe son visage, son corps, son sourire. Et il décide si ça vaut la peine d’aller plus loin. Si la fille ne l’attire pas particulièrement, il répondra un truc sans importance, puis l’ignorera superbement. C’est machiste de sa part, mais il s’en contrefiche, il peut largement se payer le luxe d’être sélectif. Mais voilà, la jeune femme est magnifique, elle a ce petit quelque chose dans le regard qui l’attire particulièrement. Il lui adresse donc un large sourire, passant une main dans ses cheveux mi-longs pour les ramener vers l’arrière. « Oh! Merci. » Il jette un coup d’œil vers l’arrière, juste pour voir où en sont les autres membres du groupe, et réalise qu’ils ont déjà des consommations. Tant mieux, il pourra se permettre de discuter un peu avec la jeune femme sans que ceux-ci se montrent impatients. « C’est la première fois que tu viens nous voir? Je suis sûr que oui, je t’aurais remarquée. » Mensonge. Lorsqu’il est sur scène, Jude entre un peu dans une transe et ne remarque pas les individus qui se trouvent face à lui. Il ne voit qu’une foule, une seule et même entité. Mais il n’empêche qu’à l’avenir, s’il recroise la demoiselle, il la reconnaîtra sans doute. Elle a un style bien particulier, surtout avec ses cheveux colorés. « Vous prenez quelque chose à boire ? » Il hausse un sourcil face au vouvoiement, un petit rire lui échappe. « Une bière. C’est gentil… » La politesse aurait voulu qu’il paie sa propre consommation, même qu’il offre un truc à boire à la jeune femme. Mais Jude n’est pas un type poli, il se fout éperdument des convenances. Si elle s’en fait pour si peu, elle n’en vaut pas la peine. Et puis, si elle accepte d’offrir ce qu’elle a proposé sans sourciller, il paiera la prochaine tournée sans problème. « J’aime tes cheveux. », dit-il le plus simplement du monde, saisissant une mèche de la longue chevelure de la jeune femme entre ses doigts, observant de plus près la couleur. Sans aucune gêne. Comme si cela était normal, comme s’ils étaient les meilleurs amis du monde. « Tu t’appelles comment? »

A la fin du concert, sans vraiment avoir réfléchi très longtemps et mû par mon instinct, j’étais partie à la rencontre des membres du groupe, et surtout, du bassiste. Il m’avait tapé dans l’œil sans savoir pourquoi. Bon peut-être tout simplement parce que depuis toute petite, j’avais tendance à tomber amoureuse des bassistes. Malgré le fait que dans certains groupes on n’entendait pas très bien cet instrument, je l’adorais. Petite, si je l’avais pu, j’aurais appris à en jouer. Malheureusement, la vie en avait décidé autrement. Ce n’est qu’une fois plantée devant lui, le félicitant de leur prestation et lui demandant s’il voulait boire quelque chose, que je remarquais que je l’avais intercepté dans son élan. Apparemment il se dirigeait vers le bar, ou les autres membres du groupe s’étaient regroupés. Je me sentis soudainement bête. J’aurais tout simplement pu l’attendre là-bas plutôt que venir à sa rencontre. A l’instant présent j’avais juste envie de partir me cacher, disparaître, comme une petite souris. C’aurait été il y a quelques années en arrière, je lui aurais certainement fait du rentre dedans, sans aucune gêne, l’allumant ouvertement, mais plus maintenant. J’avais changé et, dès que je pensais à mon passé, c’était encore douloureux. Je ne voulais plus être cette femme et j’avais fait d’immenses progrès pour y arriver, même si, je n’étais pas encore arrivée au résultat définitif. Ce n’était pas pour replonger maintenant. Quand il me remercia de mon compliment, je lui souris légèrement. J’étais toujours gênée de m’être retrouvée là. Je ne savais pas ce  qu’y m’était passé par la tête. Certainement un retour de ma vie passée. Déjà que je ne sortais plus souvent, justement pour éviter ce genre de situation, voilà que j’y mettais les deux pieds dedans. Pauvre cruche. A sa question, j’hochais la tête, ce qui me soulagea un peu. Au moins il ne m’avait pas envoyée bouler. C’était déjà ça. « Oui. C’est la première fois que je vous vois en concert. Et pour une première, c’était pas mal ». Ce qui était vrai. Cet après-midi, on voyant le nom de leur groupe, ça m’avait rappelé quelque chose, tout simplement parce que j’avais déjà vu d’autres affiches il y a quelques mois en arrière, mais je n’avais pas eu le courage de sortir. J’étais encore dans ma période d’enfermement totale. Mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir. C’était personnel. Je lui avais ensuite demandé s’il voulait quelque chose à boire, mon verre étant vide la question était sortie toute seule. « Va pour une bière alors », lui répondis-je. J’étais sur le point de me diriger vers le bar, le jeune homme sur mes talons quand il complimenta ma chevelure. Je me tournais vers lui, pour le remercier, et je me dirigeai ensuite vers le bar. Il me suivit comme un brave petit toutou. En même temps, il attendait sa bière. Dès que je réussis à choper un serveur, je commandais deux bière, et dès que je reçu ma commande, je lui tendis son verre « Voilà pour toi. Santé ». Je bus une gorgée, j’en avais bien besoin. Fallait que je me donne du courage. Quand il me demanda mon nom, il sortit tout seul « Scarlett. Et toi ? ». J’étais devenue livide. Le nom était sorti tout seul. Et ce n’était pas le mien. Je me mis à trembler légèrement, et je vis tout tourner autour de moi. J’étais prise de vertige et je dus me tenir à un tabouret pour ne pas m’écrouler. Scarlett. Le nom que j’utilisais pendant ma période faste. C’était mon nom de prostituée. Le monde tournait de plus en plus autour de moi, je transpirais, je tremblais de plus en plus et ma vision se brouillait. Je m’en étais pas rendue compte, mais ma main avait lâché le tabouret et mon corps commença gentiment à tomber, le sol s’approchant de plus en plus … 

Il se sent heureux lorsqu’elle lui confirme qu’elle a apprécié la performance. Il ne doute pas des talents de son groupe, mais il ne se lasse pas des compliments. Il lui adresse donc un large sourire, avant d’accompagner la jeune femme vers le bar, histoire de commander leurs bières. Il la remercie d’un simple geste de tête lorsqu’elle lui tend son verre, et prend une longue gorgée de bière. « Scarlett. Et toi ? » Scarlett. Un joli prénom, pour une jolie fille. Il sourit en entendant ce nom, hoche la tête. Demain, il aura sans doute oublié ce prénom, mais dans l’immédiat, il est omniprésent dans son esprit. « Jude. », répond-t-il simplement. Sur le coup, il ne remarque pas vraiment que la jeune femme ne semble pas dans son assiette. Ce n’est pas qu’il ne fait pas attention à elle, au contraire, elle ne quitte plus son regard. Mais avec l’ambiance sombre et la musique forte, ses sens ne sont pas aussi affutés qu’il le faudrait. Il comprend réellement que quelque chose cloche lorsqu’il la voit glisser vers le sol. Comme si elle perdait connaissance. Comme dans un film, il voit son verre de bière tomber vers le sol au ralenti, avant que celui-ci n’explose dans un éclat de verre et d’alcool. Ils attirent évidemment quelques regards, mais Jude ne s’en préoccupe pas, il se contente de rattraper la jeune femme juste avant que sa tête ne touche le sol. Le tout sans renverser une seule goutte de son propre verre. La classe, quoi. Il faut savoir choisir ses priorités. « Euh… Ça va? », demande-t-il d’une voix incertaine, observant autour de lui pour voir si une amie de la jeune femme approche. Apparemment, celle-ci est seule, ou du moins, personne n’a remarqué son malaise. « Viens, on va aller à un endroit moins étouffant… » Abandonnant avec regret sa bière sur une table, il se dirige vers la loge réservée aux groupes de la soirée, espérant que celle-ci sera vide, le tout en supportant Scarlett, histoire de l’aider à marcher. Par chance, il n’y a personne, et il aide la jeune femme à s’asseoir sur le fauteuil qui se trouve dans la loge. Puis, il se passe les mains dans ses cheveux, se demandant quoi faire.

Il n’est pas tellement dans les habitudes de Jude de se montrer particulièrement empathique face aux gens qu’il ne connaît pas. Sa logique personnelle voudrait qu’il abandonne la jeune femme à son sort (après tout, la soirée est encore jeune, il pourrait certainement se trouver une autre fille avec qui passer la soirée), mais il n’ose pas le faire. Elle lui semble vraiment mal en point, avec son teint pâle et la mince pellicule de sueur qui recouvre sa peau. La mettre dans un taxi et la laisser s’arranger avec son malaise ne lui semble pas la meilleure des choses à faire. C’est la moindre des choses de lui apporter un peu de soutien, même si au fond, il ne la connaît pas. « Ne bouge pas, je reviens… » Il retourne vers le bar pour acheter une bouteille d’eau, ce qui ne lui prend qu’une minute. Les joies de connaître personnellement le barman. De retour dans la loge, il s’assoit près de la jeune femme et lui tend la bouteille d’eau. « Tu… ça t’arrive souvent? Tu as trop bu, ou..? » Loin de lui l’envie de la juger, si elle a fait une telle chose. Il lui est lui-même arrivé à de trop nombreuses reprises d’abuser des « bienfaits » de l’alcool, et ça ne lui réussit pas toujours. Il tente juste de comprendre ce qui a pu se passer pour que Scarlett fasse un tel malaise. « Bois un peu d’eau, ça t’aidera.. Je pense? »

J ’étais complètement désorientée. Je ne savais plus ou je vivais. Tout tanguais autour de moi, comme si j’avais ingurgités pas mal de doses d’alcool. Ce qui n’était pas le cas. Je ne m’étais jamais sentie autant mal. Je n’avais aucune idée de ce qui était en train de m’arriver. Rien que le fait d’avoir donné mon nom, mon faux nom en l’occurrence, m’avais rendue dans cet état. Foutu passé. Et je ne pouvais pas lui dire que j’avais menti. Je n’avais aucune idée de lui mentir sur mon prénom. Vraiment aucune. Quand il me répondit, son nom se perdit dans le brouillard. J’entendis juste le début, mais mon cerveau l’avait complètement ignoré. C’était comme s’il me parlait de très loin, ou alors comme dans un talkie-walkie avec une mauvaise réception. Je sentis que ma main était en train de laisser glisser mon verre, qui ne tarda pas à se fracasser au sol. Le bruit me fit sursauté mais j’avais le regard complètement dans le vide, transpirant, le visage pâle. Mes jambes ne me tenaient plus et je m’écroulais par terre. Heureusement, juste avant de toucher le sol, des mains me retinrent. Je ne répondis pas de suite à sa question, fallait attendre que mon cerveau décrypte ce qu’il venait de dire. Et puis bon, il était con ou il le faisait exprès ? Vu mon état, je ne pense pas qu’il ait vraiment besoin d’une réponse. Je ne devais tout de même pas lui faire un dessin non ? Je m’accrochais à lui, comme si ma vie en dépendait. Je n’avais pas le choix, sinon, j’allais de nouveau m’effondrer. Mes jambes s’étaient transformées en tige de coton. « Pas trop non » réussis-je quand même à dire. C’est à ce moment-là que je remarquais que j’avais la bouche sèche. J’avais besoin de boire. De m’allonger et de fermer les yeux. J’avais déjà eu des migraines durant ma vie, mais ça, ce que j’avais maintenant, jamais, et personnellement, j’aurais préféré une migraine. C’était de la rigolade comparé à ce qu’il m’arrivait là. Je me laissais entraîner à l’écart, sans discuter. Il valait mieux comme ça. Il m’installa ensuite sur le fauteuil, et au lieu de m’asseoir, comme il l’avait fait, je me couchais et je fermais les yeux. J’ai un haut le cœur. J’avais juste l’impression d’être dans un bateau en mouvement.

« Ne bouge pas, je reviens ... » A ces mots, j’eus une affreuse envie de rire. Je n’étais pas prête d’aller quelque part vu mon état. Au moindre pas, je me cassais la gueule et je dirais bonjour à la moquette. J’attendis alors patiemment, toujours les yeux fermés, priant que ça allait passer. Il fallait vraiment que je me calme et que je prenne le dessus, que je sois maître de moi-même. Je ne devais pas laisser le passé gagner. Quelques instants plus tard il revint, je me tournais vers lui, et voyant qu’il avait une bouteille à la main, je m’assis la lui prenant. Je chuchotais un léger « merci », essayant de sourire. J’ouvris la bouteille tant bien que mal et j’en bus une grande gorgée. Que ça faisait du bien. Je secouais la tête, prenant sur moi, essayant de parler correctement. « Non. C’est la première fois que ça m’arrive … et sincèrement, je ne sais pas ce que j’ai là », je baisais les yeux par terre, avant de le regarder de nouveau « Et non, ce n’est pas une bière qui va me rendre dans cet état » raillai-je. J’ouvris de nouveau la bouteille, en rebut une gorgée. Je fixai un point derrière moi et le monde s’arrêta gentiment de tanguer. Ça allait un tout petit peu mieux. « En tout cas, merci », je me mordillais la lèvre, faisant tourner la bouteille entre mes mains « De m’avoir soutenue tout à l’heure … de m’avoir amenée ici et pour la bouteille d’eau. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Ha si. Je me serais éclaffée comme une merde au sol », je me mis à rire de nervosité. « Voilà quoi, merci beaucoup ». Je voulais dire son prénom, mais je l’avais complètement oublié. Quand je me rendis compte de tout ce qu’il avait fait pour moi, après son concert, plutôt que resté avec ses amis, je rougis. « Désolée du dérangement. Je … tu peux retourner avec tes amis. Ne te soucis pas de moi. Je vais rester tranquillement ici le temps que ça aille mieux et je partirais dans un moment ». Sur ce, je me couchais de nouveau sur le dos, tournant la tête dans sa direction.