bryan&&violet
je sais bien qu'il sera là. je l'ai guetté à la pause de midi, et j'ai attendu toute l'après midi, assise sur un banc face à l'imposant bâtiment. reflet de tant d'efforts de la part de ma famille, efforts auxquels je n'ai pas, pas du tout, participé. la vérité ? je hais ce bâtiment. il me rappelle tout ce que je ne suis pas devenue, il fait remonter le souvenir douloureux de mon expulsion, de ma disgrâce auprès de l'ensemble des Ludsen. foutaises. ludsen, bande de losers. je balaye mes sales pensées d'une pichenette mentale, avant de me concentrer de nouveau sur ce que j'ai sous les yeux. on dirait une dent mal mal placée, au milieu des autres, moins neufs, moins grands, moins brillants. une tâche de verre parmi la pierre. je soupire pour la millième fois il me semble depuis que cette journée a commencé. j'ai les doigts engourdis, les lèvres cyanosées et le regard torve. on pourrait presque croire que j'ai passé une mauvaise journée. en vérité, ça faisait longtemps que je n'avais pas vécu un semblant de sérénité. j'ai passé assise à regarder la porte d'entrée, ça m'a empêché de penser, de réfléchir (les mauvaises langues diront que je le fais rarement. je leur crache à la gueule). je passe ma langue sur le collant de la feuille avant de rouler la clope d'un geste adroit. j'allume, en maudissant mon odieux, lèche-cul, fils-à-papa de frère. ce mot me ferait presque vomir. vous savez, je l'ai aimé bryan, un jour. ça devait bien être vrai à un certain moment de ma vie non, quand je n'étais pas dotée encore d'un cerveau capable de raisonner seul. c'est malhonnête de dire ça. je ne le déteste pas, ce n'est pas vrai. nous n'avons simplement rien en commun. voilà tout. et là, ce con n'a pas pointé son nez dehors depuis ce midi, j'espère en silence qu'il ne se soit pas volatilisé par une porte dérobée après m'avoir aperçue. je tire une taffe, jure qu'à la fin de ma clope, s'il n'est toujours pas sorti, je m'en irai pour mieux réessayer de le capter demain.

J'aurais pu l'appeler, lui laisser un message, le prévenir de mon arrivée imminente dans sa petite vie proprette et bien rangée. pourquoi je ne l'ai pas fait ? sans doute pour savourer la fraction de seconde pendant laquelle il n'aura pas eu le temps de se forger un masque d'impassibilité en me voyant. comme le faisait papa. ils sont doués pour ça, cacher leurs émotions en ma présence, me signifier clairement que je ne suis qu'une merde indécente au milieu de ces loups blancs. blancs comme neige. eux n'ont rien à reprocher, non, bien sûr. je ravale ma colère. elle aura toute l'occasion de dégouliner quand je l'aurai enfin en face de moi. chose qui ne devrait pas tarder, la porte s'ouvre sur un groupe d'hommes en costumes. et le voilà enfin. pile à l'heure, je viens de finir ma clope. il était temps, frère. qu'est-ce que t'as bien pu foutre pendant tout ce temps, il fait déjà nuit depuis deux heures. je me lève, jette mon sac à main sur l'épaule et m'avance vers lui. pour l'occasion, j'ai fait l'effort de mettre une robe près du corps, de celle que jess adorerait parce qu'elle ne dissimule pas grand chose. j'ai chaussé des talons, un manteau au col en fourrure, je me suis coiffée, maquillée, forgée une image d'une perfection presque provocante et là est tout l'intérêt. tout ça, ce n'est pas moi, ce n'est que le moi qui se doit de plaire à la famille. bryan le sait, j'en suis sûre. il comprendra. ses collègues me jettent un regard intéressé avant de se détourner en comprenant que c'est leur bébé d’acolyte que je suis venue voir. ça le vieillit, ce costume. et ses cheveux, n'en parlons même pas. un sourire vaguement moqueur étire mes lèvres. je jette le mégot au loin.

-Hé Ludsen.

je m'avance jusqu'à lui, lui colle un léger baiser sur la joue. laisse une trace de rouge sur sa peau. toujours ce sourire aux lèvres, insupportable, provocant. bon sang violet. tu es là pour recoller les morceaux, par pour les réduire en poussière. alors je souris plus sincèrement, cette fois, j'essaye. vraiment j'essaye, mais ce n'est pas facile. tu comprends bryan, c'est la première fois depuis... depuis quand, dis-moi. j'ai eu peur d'avoir oublié ton visage, tu sais. promis, je vais faire des efforts cette fois.

-joyeux anniversaire. avec un peu de retard, tu me pardonneras.

je tends une enveloppe. à l'intérieur, il ne trouvera rien de plus qu'un modeste dessin que j'ai eu l'affront de faire à son insu, il y a quelques années de ça. bryan lisant à la table de la cuisine. petit hommage aux années qui passent, qui nous étirent et nous éclatent aux deux poles, qui nous séparent et nous rattrapent toujours un jour. et surtout, la plus belle tentative de réconciliation que je puisse trouver. à vrai dire, je n'ai pas le choix. mais il n'est pas obligé de le savoir tout de suite. laissez-nous croire, tous les deux, que l'on est capable de s'entendre pour de vrai, à condition de faire des efforts ?...

bryan&&violet
« tu peux dire que je ne serai pas là pour la fin de l’après-midi.» bryan enfourne le papier dans sa poche après un rapide coup d'oeil. J'avais oublié. il s'en fout, bien sûr qu'il s'en fout ! quel intéret peut bien porter monsieur au petit gribouilli sans intérêt que lui offre gentiment son attardée de soeur. je suis sûr le point de m'énerver, à vouloir reprendre le papier de sa poche pour le lui faire avaler tout rond. je me retiens de justesse, esquisse un sourire crispé. non, bien sûr que je ne suis pas là seulement pour ça. comme si j'avais assez de temps à perdre à essayer de lui arracher ne serait-ce qu'un sourire. « non, tu as raison, même si ça aurait pu. » ce n'est pas le moment de se battre au sujet de notre lien fraternel si malmené. c'est vrai, j'aurais pu être là pour ça, simplement pour son anniversaire, pour essayer de recréer quelque chose de vrai entre nous. j'imagine que ça arrivera bien un jour, j'espère. passons. ça n'a pas d'importance, pas maintenant. « je suis venu pour le père. » je lâche d'un ton plat. "le père", pas "papa", non. je ne me sens plus le droit de l'appeler ainsi, et d'ailleurs je n'en ai plus envie. je ne suis plus sa fille depuis longtemps, il me l'a bien fait comprendre, alors je refuse de le considérer encore comme mon paternel. tout juste mon géniteur, ce maudit gredin qui m'a mise au monde. monde de merde. quand j'ai appris qu'il avait un pied dans la tombe, je me suis d'abord sentie odieusement satisfaite. je me suis imaginée dansant sur sa tombe, ivre morte, droguée jusqu'à la moelle. et je me suis ressaisie, je m'en suis même voulue de penser une chose pareille. pourquoi ne pas essayer de me réconcilier avant qu'il ne crève pour de bon. mon père n'a jamais été proche de moi, n'a jamais fait aucun effort, a toujours privilégié mon frère à mes dépens. pourquoi je devrais le faire, je me demande bien. par acquis de conscience sans doute. un instant d'humilité vaut bien mieux qu'une vie passée dans le regret. un jour viendra, j'espère, ou je m'assagirai, et à ce moment là, je voudrais ne pas regretter de ne pas avoir su mettre ma fierté de côté les derniers jours de sa vie. pour me faire pardonner quand il était encore temps. avec un soupir, je change de pied d'appui et finit par observer franchement Bryan, à le regarder droit dans les yeux. « bryan, il faut que tu m'aides, je ne peux pas faire ça toute seule, il faut que j'aille le voir, mais j'y arriverai pas, je le sais. pas sans toi. » les mots dévalent mes lèvres à toute allure, trahissant mon malaise, mon incertitude. « j'ai besoin que tu viennes avec moi. » murmure honteux. s'il savait ce que ça me demande de lui demander son aide. c'est déjà arrivé par le passé, il a déjà accepté, il peut accepter de nouveau.« à quel point c'est grave ? qu'est-ce qu'il a ? » je n'ai eu aucune information. tout ce que je sais, je le tiens de jess, et dieu sait que ce n'est pas complet, ni très fiable compte tenu de ma source. il me faut des explications.