La lune balaye rapidement le soleil, laissant place à une noirceur quasi-totale. Seules le clair de lune et les étoiles éclairent cette rue désertique, aidées par les phares solitaires d’une voiture. Eréndira, elle roule à basse vitesse, se laissant transportée par cette voix séductrice et profonde qu’elle aime tant. Cette voix la transporte ailleurs, dans ce monde meilleur où la douleur s’estompe, l’espace de quelques instants. Cette voix réanime toutes les parcelles mortes de son être, elle s’introduit en elle, libératrice. C’est le propre de la musique, servir de bouée aux gens malheureux et rempli de tristesse. Aux yeux de la mexicaine, la musique apaise les maux comme personne ne peut y arriver sur cette terre. Eréndira, elle chante avec cœur dans cette voiture, redoutant le moment où elle devra arriver à la maison, affrontant à nouveau la douleur du manque d’amour que lui porte son mari. « i was born sick, but i love it. command me to be well. amen. am… » La voiture projette un bruit étouffée, avant de s’arrêter quelques secondes plus tard. « non, mais c’est une blague ?! » Eréndira, elle tente de redémarrer à quelques reprises la Jeep, sans toutefois y parvenir. Après quoi, elle sort à l’extérieur, s’apercevant de la fumée qui s’échapper du capot. Elle l’ouvre pour y jeter un coup d’œil, l’odeur puissante de la fumée s’accrochant à son nez. Eréndira, elle soupire, elle n’y connait absolument rien en voiture, elle est médecin et non mécanicienne.

Pendant l’ombre d’un instant, elle songe à appeler Manuel, mais elle abandonne aussitôt l’idée, trouvant en cette panne totale une excuse pour rester loin de lui, pendant plusieurs minutes encore. Retournant à l’intérieur, elle se résigne à faire la seule chose qui lui semble raisonnable : appeler le garagiste et attendre son arrivée dans le froid de l’hiver. Oui, elle aurait pu appeler son mari et lui demander de venir attendre avec elle, dans la chaleur de son propre véhicule, mais elle s’y refuse. Elle peut se débrouiller sans lui, froid ou non, elle n’a pas besoin de son aide. Elle compose donc le numéro du seul garage qu’elle connait en ville, pour l’avoir composée quelques mois auparavant pour son ancienne voiture puis attend patiemment l’arrivée de son sauveur, callée dans le banc en cuire de sa Jeep. Pourquoi une voiture de l’année tombe subitement en panne sur une route déserte, alors que le réservoir d’essence est plein ? Eréndira, elle n’en a pas la moindre idée. Ce qu’elle sait cependant, c’est que le froid lui gruge rapidement la peau et qu’elle aurait dû se vêtir plus chaudement. L’hiver aux États-Unis est très loin de ressembler à celui qu’elle connait au Mexique. Elle n’a pas l’habitude de gérer un froid pareil. Heureusement pour elle, son mari est à moitié américain et non canadien, sans quoi elle serait très certainement au Canada présentement où le froid est parait-il beaucoup plus intense. Comme quoi il faut voir le positif même dans les situations les plus négatives, non ? C’est du grand n’importe quoi, parce que si elle devait se consoler avec cette maigre partie positive de son mariage, elle serait complètement tarée.

Eréndira, elle attend assise dans sa voiture à maudire la vie de lui faire subir toutes ces misères. Calée dans son siège, à se frotter les mains ensemble, à tenter de se réchauffer avec la chaleur de la voiture qui s’évanouie au fil des minutes, elle maudit sa vie. Cette panne n’est qu’une petite mésaventure dans ce bordel qu’est son monde, mais qui en ajoute à ce qu’elle a sur le cœur. Elle maudit surtout le froid de Memphis, se disant que si elle ne se serait pas mariée, elle serait toujours chez elle au chaud. Si pendant un instant elle s’est dit que cette panne était une bénédiction, la tenant à distance de Manuel pendant encore quelques minutes, en ce moment, elle se dit le contraire. Eréndira, elle songe à appeler son mari, lui demander de venir la trouver avec une tasse de chocolat chaud, mais elle s’y refuse à chaque fois. Elle ne veut pas de son aide, elle ne veut pas de son soutient, car il le ferait par obligation et non par amour. Elle le maudit lui et ses belles paroles. Elle le maudit lui et ce foutu visage d’ange qui cache un démon. Elle maudit son père qui lui faire subir cette douleur. Elle repasse en boucle le passé dans sa tête, ce moment où elle ne connaissait pas la vérité, ce moment où elle était heureuse. Eréndira, elle est au bord du gouffre et lorsqu’on vint frapper à sa vitre, elle sursaute, ne s’étant pas encore aperçue de l’arrivée du garagiste. Elle soupir de soulagement puis pendant un instant, elle tente d’abaisser la vitre, réalisant ensuite que le moteur arrêté, elle est hors d’usage. Par de-là la fenêtre, elle peut entendre un bonjour sortir de la bouche de l’homme, avant qu’il ne recule pour la laisser sortir.

Eréndira, elle ouvre la portière de la Jeep puis sort à l’extérieur, alors que le froid lui mord la peau. « bonsoir… » C’est à ce moment précis qu’elle pose ses yeux sur le visage de l’homme puis qu’elle le reconnait. Eréndira, elle a cette mémoire des visages, surtout lorsqu’il s’agit d’un beau visage comme celui de cet homme. Elle le revoit à l’infirmerie de la prison, un peu amoché après une bagarre. Elle n’aurait pas pu oublier ces yeux et ce visage, ça non. Elle lui sourit légèrement. « merci d’être venu, je commençais vraiment à geler avec ce froid sibérien et je m’y connais aucunement en voiture. » Le regard d’Eréndira est posé sur l’homme avec intensité. La plupart des gens craindraient cet homme vu son passif de prisonnier, mais la mexicaine ne le voit pas sous cet angle. Elle a fréquentée bon nombre de criminels, la plupart des membres de sa famille baignant dans la drogue, le meurtre et autres trucs illégaux. Elle ne connait pas les motifs de l’incarcération de cet homme, mais s’il est en liberté aujourd’hui et qu’il travail, elle est prête à lui accorder sa confiance. Elle sait trop bien que les prisonniers ne sont pas tous forcément mauvais et même qu’une bonne partie sont bons. Eréndira, elle a ce côté qui peut paraître naïf, mais au fond c’est qu’elle n’accorde pas de valeur au statut des gens. Ancien détenu ou non, cet homme est un humain avant tout et même si Manuel lui reprocherait d’être restée seule avec lui, elle s’en fiche. Pour dire vrai, elle préfère être avec cet homme qui lui est pratiquement inconnu sous ce froid mordant d’hiver, plutôt qu’être chez elle avec son mari.

Eréndira, elle est soulagée que cet homme soit là, elle est soulagée de le voir arriver avec la bonne intention de l’aider, même si au fond, il fait ça pour l’argent. « je sais vraiment pas ce qu’il s’est passé. Je roulais, la Jeep s’est mise à faire un bruit étouffé puis elle s’est complètement arrêtée. De la fumée sortait du capot et j’ignore totalement ce que ça peut être. » Elle sourit doucement, se frottant les mains ensemble pour se réchauffer. Elle se jure que dorénavant elle va apporter avec elle des bonnes mitaines et des bottes chaudes dans sa voiture. Ainsi, elle sera prête s’il lui arrive quoi que ce soit d’autre, elle ne crèvera pas de froid en attendant le garagiste. Eréndira, elle ne relève pas qu'elle le connait, elle ne mentionne pas qu'elle l'a soigné à la prison, pas parce qu'elle veut éviter le sujet, mais plutôt qu'elle ne voit pas l'intérêt d'en parler, pas maintenant.

Le froid mordant de l’hiver lui bouffe le visage, alors qu’elle est dehors pour parler au garagiste. « c’est mon job. » Il répond simplement, alors qu’elle le remercie d’être venu. Ensuite, il lui demande ce qu’il s’est passé puis elle lui raconte le peu détails qu’elle a concernant la panne. À sa réponse, Eliott il fronce les sourcils et file récupérer des outils dans sa propre voiture. « la voiture est ouverte, vous devriez aller vous réchauffer. » Le ton de sa voix est froid, mais Eréndira ne bronche pas, elle se contente plutôt de saisir la couverture qu’il lui tend et de se la mettre autour des épaules, alors qu’il s’éloigne sans rajouter quoi que ce soit. Eréndira, elle ne se dirige pas instantanément à la voiture, elle préfère rester à l’extérieur à observer l’homme, alors que la couverture lui procure un peu de chaleur. Eliott, il ouvre le capot de la Jeep puis il fait son job. Les minutes s’écoulent, alors qu’elle l’observe puis elle finit par se décider à aller se réchauffer dans le véhicule de l’homme.

Après quelques minutes, l’homme se rapproche d’elle. « le moteur est HS. il faut le changer, ça demandera quelques jours. » Quoi ? Le changer… pourtant, la voiture est neuve, donc le moteur devrait l’être tout autant. Eréndira, elle fronce les sourcils, mais l’homme s’y connait sans doute mieux qu’elle, niveau moteur. Elle se contente plutôt d’hocher la tête puis l’écoute parler. « on va laisser la voiture au garage. vous avez quelqu’un pour venir vous chercher ou je vous raccompagne ? » L’homme se monte brusque, mais une fois encore, elle ne bronche pas. Eréndira, elle n’est pas sensible à la brusquerie, elle y est même habituée et venant d’un ex détenu qui est sorti depuis peu, elle n’a tout simplement pas à lui en vouloir. Eréndira, elle sourit, hésite pendant quelques instants. Elle pourrait demander à Manuel de venir la chercher, mais une fois encore, elle n’a pas envie de lui demander ce service. Elle hésite entre déranger cet homme, lui faire faire un petit détour et appeler son mari puis au final, elle opte pour la première option. « si ça ne vous poses aucun problème de me raccompagner, j’habites à quelques minutes seulement… » Eréndira, elle se doute qu’il a sûrement mieux à faire, qu’à cette heure, il doit avoir envie de retourner porter la Jeep au garage puis aller se reposer chez lui, mais… c’est plus fort qu’elle, elle repousse son arrivée chez elle, elle repousse les contacts avec Manuel. Et bien sûr, elle compte offrir un supplément à l’homme, s’il veut bien la reconduire, ça serait la moindre des choses.

Eréndira, elle trouve étrangement la présence de cet homme réconfortante. Peut-être parce qu’il lui change un peu les idées, peut-être parce que sa brusquerie et son côté rustre lui rappellent certaines personnes qui lui manquent. Ça devrait certainement être le contraire, vu sa façon d’agir avec elle, vu les circonstances pour lesquelles ils se sont rencontrés la première fois, mais ce n’est pas le cas. Eréndira, elle sait que cet homme n’a pas dû l’avoir facile, au cours des dernières années, elle a parfaitement conscience de la vie au pénitencier. Eréndira, elle a toujours cette compassion, cette compréhension, elle ne juge pas les gens si facilement. Cet homme a fait de la prison et elle s’en contrebalance, pour elle ça n'a aucune importance.

Eliott, il adresse un sourire à la jeune femme, le premier depuis son arrivé puis elle lui en adresse un en retour. Il s’assoit à l’intérieur du camion remorque, son regard posé dans celui d’Eréndira. « vous vous rappelez de moi, n’est-ce pas ? » Sur ces paroles, il referme la portière derrière lui. Jamais elle n’aurait pu oublier ce visage, qu’il provienne d’un pénitencier, d’un restaurant ou même d’un parc avec une foule bien présente. Cet homme n’a pas le genre de physique qui passe inaperçu, ça non, il est beaucoup trop beau, beaucoup trop imposant. Eréndira, elle se rappelle parfaitement de lui. Un doux sourire se pose sur les lèvres de la belle mexicaine. « oui, votre visage m’a marquée, je dois l’avouer. » C’est ainsi qu’elle peut présenter la chose, car le visage de l’homme l’a belle et bien marquée, ne serait-ce par sa beauté ou peut-être par la tristesse qu’elle a pu lire dans ses yeux ce jour-là. Eréndira, elle ne connait pas le fond de l’histoire, elle ne connait pas les événements qui ont poussés l’homme derrière les barreaux, mais elle s’en fiche. À moins bien sûr qu’il ait commis l’atrocité d’un viol, le meurtre d’un enfant ou un truc complètement horrible. Son propre père a commis d’innombrables trucs impardonnables, elle sait avec certitude qu’il a déjà pris plusieurs vies, tout comme son frère et d’autres membres de la famille, alors Eréndira, elle ne juge pas facilement. Et puis cet homme a bien pu être incarcéré pour un délit bien moins grave, trafic d’armes, trafic de drogues… Elle n’en sait tout simplement rien et ça ne la regarde pas, car aujourd’hui tout ça relève du passé.

Eréndira, elle est assise sur le siège passager, se laissant bercer par la chaleur réconfortante de la voiture. L’homme démarre puis en quelques minutes, ils se retrouvent au garage. La jeune femme est anxieuse à l’idée de retourner chez elle et d’affronter le regard sans amour de son mari. C’est une obsession dans sa tête, toujours redouté le moment où elle sera seule avec lui. Comme s’il était un foutu monstre, comme s’il allait la tuer, alors qu’il n’en ferait rien, car ça le mènerait tout droit à la morgue, avec elle. Eréndira, elle n’arrive plus à le regarder en face, elle n’arrive plus à l’aimer comme autrefois, même si bien sûr elle continue de l’aimer. Seulement, cet amour est différent, car il n’est pas partagé. Elle aimerait tellement cesser de l’aimer, juste pour continuer à vivre normalement, juste pour ne plus aimer un homme qui ne partage pas les mêmes sentiments. C’est un enfer pour elle, elle s’est fait manipuler, elle s’est fait jouer dans le dos et maintenant, il y a ce foutu contrat de mariage qu’elle ne peut briser, à moins bien sûr de tuer Manuel du même coup. C’est un putain de bordel et maintenant elle est prise dans le tourbillon. Seulement, la présence d’Eliott arrive à l’apaiser, sans qu’elle ne sache pourquoi. Peut-être parce qu’il est si différent de son mari et qu’il se rapproche davantage de sa famille et de tout ce qu’elle a toujours connu. Ou peut-être tout simplement parce qu’en ce moment, il l’a retient loin de chez elle, en fait ça doit être ça l’explication logique.

Eréndira, elle se rappelle parfaitement ce beau visage, mais lorsqu’elle l’a vu pour la première, il était amoché. Malgré tout, elle l’aurait reconnu parmi de nombreux hommes. Cet  homme, il a un de ces visages, le genre qu’on n’oublie pas facilement puis Eréndira, elle a cette mémoire, donc impossible de l’oublier. Elle lui dit que son visage l’a marqué, ce qui peut sembler un peu étrange, mais bon, ça elle s’en fiche. C’est vrai qu’il est marquant, alors pourquoi le cacher ? Eliott, il est de ces hommes beaux, sans doute trop beaux même, le genre qui doit savoir emballer les filles en un claquement de doigts. Comme Manuel, comme Jax, le genre d’hommes qui ne peut que plaire aux femmes, c’est assuré. « je vous ai jamais vraiment remercié ce jour-là. je crois que vous êtes le seul visage sympathique que j’ai rencontré là-bas. » Eréndira, elle sourit doucement. Elle sait parfaitement que la vie est difficile en prison, que la plupart des gens sont loin d’être sympathiques, même que les gardiens de prison et les détenus sont de vrais cons. C’est la taule quoi, on ne s’attend pas à ce que la joie y règne, alors elle comprend parfaitement cet homme. « c’est rien, c’était mon boulot. et vous avez été un de ces détenus qui m’a regardé sans ce regard pervers ou malsain, alors c’est moi qui vous remercie. » Eréndira, elle est belle et elle plait aux hommes, donc pour la plupart des détenus, elle a été comme un festin à dévorer des yeux. Elle a reçu des invitations complètement tordues, mais Eliott, il a su se tenir lui et il ne lui a pas lancé un de ces regards vicieux. Heureusement qu’Eréndira à l’habitude avec les personnes pas trop nettes, heureusement qu’elle n’est pas de ces petites bourgeoises prudes et innocentes, sinon elle aurait tressailli sous le regard des détenus. La jeune mexicaine est plus solitude que ça et elle ne se laisse pas intimider facilement.  

Rapidement, ils se retrouvent au garage et Eliott met la voiture à l’abri. Il sort de la voiture et invite Eréndira à le suivre à l’intérieur. Elle ne se fait pas prier, elle se doute qu’il y fera beaucoup plus chaud. « vous allez devoir remplir quelques papiers. » Il passe derrière le comptoir puis lui tend les papiers. Eréndira, elle les rempli rapidement et en silence puis lui tend ensuite le crayon. Eliott l’a remercie puis elle lui sourit gentiment. « je termine dans dix minutes, ça vous dérange d’attendre et je vous raccompagne ensuite. si ça vous gêne pas de monter sur une moto. » Eréndira, elle lui sourit à nouveau. « pas de soucis, vous pouvez prendre votre temps, je suis pas pressée. » Eréndira, elle n’a rien contre le fait de monter sur une moto, même si son père serait totalement contre et son mari aussi, sans doute. Le froid par contre devrait être plus dérangeant, mais si c’est pour éviter d’être à la maison rapidement, elle prend le risque. Eréndira, elle appréhende encore le moment où elle devra arriver chez elle, le moment où elle devra se retrouver seule avec Manuel. C’est tellement con de redouter le face à face avec son mari, c’est pas comme s’il l’a battait ou comme s’il était dangereux, mais elle ne peut pas s’empêcher de redouter cet instant. Elle l’a tellement aimé et maintenant qu’elle connait la vérité, elle aimerait pouvoir se libérer de lui, ce qui est impossible. Elle n’a rien à lui dire, voilà tout et elle n’en peut plus des mises en scène. Si Eliott prend son temps, ça ne lui pose aucun problème, bien au contraire.